Les villes de demain

J-C. Ribot, F. Castaignède, B. Laborde, 2012-2015 (France)

PREMIERE PARTIE, LES VILLES DU FUTUR

L’ONU indiquait en 2008 que, pour la première fois dans l’histoire, la population urbaine mondiale (3,4 milliards de personnes à cette date) atteignait 50 % de la population totale. Plus d’un habitant sur deux sur Terre vit en ville aujourd’hui et chaque semaine un million de personnes supplémentaires s’y installent (en 2015 les citadins seraient 3,9 milliards). À ce rythme, 70 % des êtres humains seront urbains en 2050. Même si la définition même de « ville » est assez incertaine (elle dépend des pays et des disciplines) pour ne pas dire problématique (même en géographie), les phénomènes d’urbanisation et d’étalement des villes sont bien réels. Justement, le coffret que propose Arte sur « les villes de demain » regroupe deux séries documentaires (le plus ancien reportage date de 2012) qui, s’appuyant sur différents intervenants (architectes, économistes, sociologues, ingénieurs…), questionne les enjeux sociétaux, politiques, économiques et environnementaux liés aux villes et à leur évolution.

Ainsi dans la série « Les villes du futur », Jean-Christophe Ribot se penche sur les villes intelligentes. Il s’interroge sur l’évolution des modes de vie dans un cadre urbain extrêmement bien renseigné sur ses habitants afin (selon ce qui est vendu avec le label « Smart city ») d’améliorer ses services proposés aux citadins. Parce qu’elles répondent à la logique du réseau, les villes intelligentes sont par conséquent susceptibles de tout observer et de tout enregistrer. Ces données de masse servent ensuite à anticiper les besoins et augmenter le confort des citadins en terme de transport, de logement, de sécurité… Les promesses sont grandes : optimisation dans la gestion des dépenses énergétiques, limitation de la pollution, plus grande mixité sociale ou générationnelle des populations, etc. Cependant les risques le sont également : dépendance trop grande à l’informatique, possible utilisation commerciale des big data détenues par les sociétés privées, restriction progressive des libertés…

Un autre documentaire, cette fois sur les villes nouvelles, signé Frédéric Castaignède, montre ce que sont la King Abdullah Economic City (KAEC) sur les bords de la mer Rouge en Arabie Saoudite, Tianjin Eco-city en Chine ou Songdo en Corée du Sud. Cette dernière est d’ailleurs présentée comme la première cité ubiquitaire du monde : partout des capteurs transmettent les données personnelles des habitants à un ordinateur central dans le but de simplifier leur vie. C’est une carte unique qui sert de moyen de paiement, de clé d’accès à son propre logement ou à son bureau, de moyen de contrôle de sa consommation énergétique… Suite au financement, à l’aménagement, voire à la création de ces villes par des sphères privées, revoilà posées les questions de finalité et d’éthique. Songdo ou l’hyper surveillance, un peu comme si Gattaca n’était plus seulement fictive.

Le troisième film de la série des « Villes du futur », réalisé par Benoît Laborde, nous présente le concept de fermes verticales cher au microbiologiste et universitaire américain Dickson Despommier. Ce dernier part de l’idée suivante : les villes doivent subvenir à leurs propres besoins en matière alimentaire et ne plus forcément attendre des campagnes qui voient leurs surfaces agricoles consacrées à l’alimentation diminuer (à cause de l’étalement urbain d’une part, mais aussi surtout à cause de la concurrence d’autres types de culture, celles réservées aux biocarburants par exemple). Despommier pense alors réintroduire un espace agricole dans la ville et créer des gratte-ciel où l’on ferait pousser des fruits et des légumes sur les hauteurs. Toutefois cela n’est pas sans poser aux ingénieurs quelques défis techniques : le problème du poids de la terre qui ne peut être supporté sur plusieurs étages mais contourné grâce à l’hydroponie, ou celui posé par le manque de luminosité résolu par la technologie des diodes électroluminescentes, les LED en plein développement ces dernières années.

Les villes pensées aujourd’hui essayent de fuir le modèle laissé par le cinéma de science-fiction et d’anticipation : cité déshumanisée d’Alphaville (Godard, 1965) ou de Playtime (Tati, 1967), hyper contrôlée de Gattaca (Niccol, 1997), cultivant la ségrégation sociale comme dans Metropolis (Lang, 1927), tout autant polluée dans le cas du Los Angeles de Blade runner (Scott, 1984), jusqu’à l’urbanisation monstre capable d’engloutir des planètes entières sous son bâti, sous son ultra-modernisme et sous son irradiance, Coruscante ou Hosnian Prime dans Star Wars VII… A l’opposé, les villes pensées aujourd’hui se veulent sociales (par la mixité souhaitée à tous les niveaux), responsables, productrices de richesses et de confort, en un mot (vacillant) durable… Cependant, ce que dit cette série de reportages, c’est que les ambitions considérées sont telles qu’il est extrêmement difficile de toutes les concilier. La quête, en soi, d’une cité idéale redéfinie, toujours poursuivie mais jamais accomplie. Mais, quand elles communiquent sur leur modernisme, sur leurs innovations (une tour high-tech par ci, une solution verte par là) et surtout sur leurs projets à long ou très long terme (qu’importe finalement s’ils aboutissent), mégapoles et métropoles, il ne faut pas l’oublier, ne sont finalement plus que des vitrines pour leur pays, des symboles affichés par le marketing urbain d’un dynamisme ou d’une puissance renouvelée. Et les projets, eux, demeurent bien souvent des utopies.

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Une réponse à “Les villes de demain”

  1. Une passion nouvelle pour l’habitat urbain ? Que d’escaliers à gravir pour partir à la conquête de ces gratte-ciels ! Cette triple lecture de nos cités interconnectées renvoie directement au travail de cinéastes qui, de Michael Mann à Jia Zhang-ke, ont ajouté leur point de vue (qui vient enrichir les titres que tu as judicieusement sélectionnés).

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