Vandal

Hélier Cisterne, 2013 (France)

Deux mondes s’opposent dans Vandal comme les contradictions d’un jeune qui se cherche. De jour, le film nous raconte le quotidien de Chérif (Zinédine Benchemine), ses difficultés, les cadres qui le tiennent pour éviter qu’il ne s’abîme (parents, professeurs…). La première scène dit beaucoup : sur un terrain vague, il hurle sa joie dans une voiture volée avec laquelle il fait des tours à grande vitesse. Il exprime une libération qui ne le conduit nulle part. Il dessine des cercles avec le véhicule et soulève de grands nuages de poussière. Chérif tourne en rond et se brouille l’esprit. Cette libération de courte durée, il va la payer par un passage chez le juge et un avenir à nouveau remis en question (on comprend bien que ce n’est pas son premier écart de conduite et que les règles, ce n’est pas tout à fait son truc).

La réalisation de Hélier Cisterne donne à voir les enfermements successifs de l’adolescent. Ils sont symboliques et traduisent ses empêchements. Chérif est suivi de près par la caméra du réalisateur, les plans sont serrés. Autour de lui, les murs se dressent : dans le bureau du juge, l’appartement du père (« trop petit » pour l’accueillir), sa chambre, sa planque. Comble de l’ironie, la seule perspective qui lui est donnée, un CAP maçonnerie et un stage en chantier où à nouveau les murs s’élèvent, cloisonnent et privent de tout horizon.

À ce quotidien de jour s’oppose un monde nocturne pour lequel vandales et artistes en puissance font le mur (Faites le mur ! de Banksy est sorti en 2010). Ces silhouettes de l’ombre sortent les bombes et recolorent avec plus ou moins d’ambition ce qu’ils peuvent avant d’être pris. Au pied du mur, ils trouvent là leur moyen d’expression. Montant sur les toits pour donner de la hauteur à leur graffs, ils respirent un peu : les champs s’élargissent, les ciels apparaissent, ils dominent enfin quelque chose, maîtrisent leur art, au moins cela. Mais Vandal spatialise d’une autre façon le récit. Prenant place dans l’agglomération de Strasbourg, Cisterne cueille Chérif à la marge et le suit en proche banlieue (le tournage a eu lieu en partie à Schiltigheim, au nord de Strasbourg). Le réalisateur filme les barres d’immeubles et les chantiers au loin, retrouve l’ado au sommet d’une grue où l’on aperçoit la cathédrale de la ville, un des rares éléments du centre que l’on puisse distinguer et qui au jeune en conflit demeure inaccessible. Parmi les paysages, les graffeurs traversent aussi des no man’s land variés, la gare de triage, les murs des bords de route qui coupent le monde en deux et des bâtiments abandonnés. Difficile de passer à côté de cette belle scène dans laquelle Chérif visite le vieux bâtiment industriel dont Vandal a fait sa planque. Ce dernier y a stocké ses bombes de peinture et a couvert les murs de ses œuvres immenses. Cela a été noté, Chérif pénètre là comme un explorateur dans une grotte, avec prudence et fascination, les fresques du graffeur éclairées à la lampe-torche rappelant les peintures d’un autre temps.

On remarque une autre très jolie scène. Quand Chérif retrouve Élodie (Chloé Lecerf) et qu’ils s’embrassent pour la première fois, le réalisateur ne filme pas l’acte d’amour. Il substitue à la chair un dessin fait le long de la jambe de la jeune fille alanguie. Hélier Cisterne garde la part de mystère et mêle durant ce moment les désirs de son personnage. Avec le dessin, cela n’en demeure pas moins une scène d’amour. Au final, le film ne dit pas si Chérif trouve un épanouissement en allant contre la société (le « vandalisme » en couleurs qui l’attire tant). Il ne le coupe pas non plus de ses rêves et à sa manière lui ouvre tous les horizons.

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