Une fois que tu sais

Emmanuel Cappellin, 2021 (France)

Le documentaire ouvre des livres, brasse des documents, fréquente les colloques et les bibliothèques. Emmanuel Cappellin est dans la démarche de chercher à comprendre, non pas redire les faits, établir les constats, répéter l’arrivée de la catastrophe. Puisqu’elle est là. En revanche, le réalisateur cherche quoi faire, comment se comporter et, en définitive, qui être « une fois que tu sais ». Le film se veut politique et adopte une réflexion psychologique, voire même philosophique.

Le point de départ, c’est Les Limites à la croissance (dans un monde fini) de Dennis et Donella Meadows et Jørgen Randers, ouvrage publié pour la première fois en 1972. Cet essai a initié le concept de « décroissance » que Delphine Batho et Sandrine Rousseau, par exemple, ont priorisé aux primaires écologistes de cette rentrée de septembre. Le livre a marqué Cappellin. Il y revient plusieurs fois et approfondit le sujet avec d’autres intellectuels influencés par le « rapport Meadows ». Ce sont ces échanges qui nourrissent sa réflexion et structurent son documentaire.

Le premier interlocuteur n’est pas celui dont on se sent le plus proche. Jean-Marc Jancovici est un habitué des plateaux télé et des interviews radio. Il est consultant en énergie (patron de Carbone 4, un cabinet conseil catégorie PME), auteur de différents ouvrages, intervenant dans certains hauts lieux comme le Collège de France ou Sciences Po Paris. C’est un défenseur de la décroissance, mais aussi un promoteur du nucléaire et d’un État régulateur autoritaire. Selon lui, le changement ne peut pas provenir du collectif, car la démocratie a des limites que le collectif ne sait dépasser (pour plus de détails, voir le portrait en trois parties fait par Hervé Kempf dans Reporterre en mai 2021). Changements climatiques accélérés, tensions dues aux productions agricoles réduites, effondrement des sociétés humaines, quand on écoute Jancovici tout semble assez simple. Le bonhomme est un vulgarisateur chevronné. Mais Emmanuel Cappellin ne l’emmène pas sur le terrain politique. Rien n’est dit non plus sur le nucléaire.

De cette séquence, on retient néanmoins une idée avancée sur un trottoir avec un groupe qui a suivi une de ses conférences. Pour lui, l’humain pourrait mieux vivre s’il était organisait en « unités de vie » mises en réseau, c’est-à-dire des ensembles réduits d’individus échangeant entre eux sur l’essentiel. Le discours mériterait des précisions : quelle taille à ses communautés (l’échelle d’un village, d’une région… ?), quels types d’échanges privilégier (distances, produits…), quelle vision commune à ces « unités » ? Le plus intéressant me paraît l’idée que ces communautés soient autogérées, moins « performantes » que les États actuels et résilientes. Elles ne seraient pas concurrentes mais solidaires et ne chercheraient plus la performance pour servir un système.

Emmanuel Cappellin s’en va trouver ensuite Pablo Servigne, ingénieur agronome et théoricien de l’effondrement. Servigne invente différentes disciplines pour analyser la catastrophe écologique, mais également pour la dépasser et ne pas se laisser abattre par elle. Ainsi, sans s’arrêter à la seule collapsologie, plutôt angoissante, la « collapsosophie » et la « collapsopraxis », auxquels il a consacré des essais, amènent à changer les comportements et donner du sens à nos vies. Sur son site, il a cette formule concernant ces disciplines : la « collapso-sophie » concerne l’ouverture du chantier « intérieur » et la collapso-praxis concerne le chantier « extérieur » à entreprendre à travers l’action, les luttes et la politique. Pablo Servigne incite donc à sa façon à la résistance et à l’action.

De toute façon, aucun des intervenants ne perd des yeux le constat de l’échec politique, se traduisant par l’incapacité des États à réellement agir sur les questions climatiques (par exemple la désillusion de la COP21 en 2015). Il conforte ce sentiment que le capitalisme globalisé défendu par les dirigeants empêche les décisions nécessaires à la protection humaine, animale, environnementale… Dans un article du Monde qui revient sur le concept de décroissance, on trouve ces lignes du politologue altermondialiste Paul Ariès qui aident à se faire une idée du problème :

« Le système capitaliste est, parmi tous les systèmes économiques, celui qui a le plus besoin pour fonctionner de produire et de consommer toujours plus, alors que les humains ont besoin pour vivre de savoir se limiter. »

D’autres thèmes sont abordés, comme la fin envisagée de l’ère du pétrole ou la croissance démographique en lien avec la question des besoins et des ressources. Un passage sur les migrations est plus confus, car le documentaire associe sans grand discernement les migrations climatiques qui auraient tendance à augmenter avec les migrations à travers la Méditerranée qui ont de toutes autres causes. Dans cette partie du film, le réalisateur pose sa caméra à Saillans, où il s’est installé, dans la Drôme. Le village fait l’expérience de la démocratie directe. Des migrants d’Afrique y sont accueillis et protégés des expulsions suite à une décision collective.

Emmanuel Cappellin donne encore la parole à Saleemul Huq, directeur d’un centre du changement climatique au Bangladesh. Lors de la COP21, une journaliste l’interroge sur ce qui motive son travail et lui pose cette question « Vous avez peur pour le Bangladesh ? ». Il répond qu’il a peur, oui, mais pour le monde et en particulier pour les États-Unis et l’Europe qui n’ont pas été habitués à vivre avec les catastrophes. Le Bangladesh et les pays pauvres, au contraire, vivent déjà dans et avec le changement climatique. Ils se sont adaptés. Avec Une fois que tu sais, le documentaire écologique passe un stade : il ne s’agit plus d’alerter sur la catastrophe éminente, ni de chercher à l’éviter. Le film questionne plutôt son impact. Sur nous d’une part, car il traite de la prise de conscience d’une situation, des émotions qui en découlent et de la manière dont ces émotions peuvent pousser à agir à nos échelles. Sur le monde d’autre part, car un changement est toujours possible. Avec Une fois que tu sais, Cappellin chemine et nous avec lui.

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