Une famille syrienne (Insyriated)

Philippe Van Leeuw, 2017 (Belgique, France, Liban)

« Laisse le monde dehors, il ne vaut plus rien ». Ce sont les mots violents du grand-père à sa belle-fille qui regarde anxieuse par la fenêtre. Pourtant, le film s’ouvre et se clôt par le point de vue du grand-père sur cet extérieur. Une rue au pied de l’immeuble qui les enferme. Une rue où tout n’est que décombres. Voiture calcinée, mobilier brisé, gravas… et corps abandonné. Cet extérieur qui ressemble à un enfer mais duquel paradoxalement on attend aussi quelque chose.

Après Le jour où Dieu est parti en voyage, qui abordait le génocide rwandais (2008), Philippe Van Leeuw traite de ces civils pris au piège dans la guerre en Syrie (« Insyriated » selon le titre en anglais). La caméra ne quitte pas l’appartement, ni ses occupants, la famille de Oum Yazan (Hiam Abbass, actrice appréciée dans Les citronniers d’Eran Riklis en 2008, Amerrika de Cherien Dabis en 2009…), ses filles, son neveu, Delhani la femme de ménage (Juliette Navis) et un couple avec bébé. Le film fait prendre conscience des difficultés, des besoins de chacun (approvisionnement et partage de l’eau, préparation des repas…), des frictions suscitées par la promiscuité. L’appartement lui-même, souvent filmé en plan-séquence, est un espace de divisions (les cloisons nombreuses derrière lesquelles on préserve une intimité, ou celles que l’on espère remparts contre le mal) aussi bien qu’un espace de sursis collectif et de solidarité.

On pourrait être à Damas ou Alep. La menace est partout. Les snipers empêchent toute sortie, tout ravitaillement. Les bombardements qui détruisent les alentours ont même entamé l’immeuble. La menace est partout. Jusqu’à pénétrer dans l’appartement. Ce que subit Halima (Diamand Bou Abboud) pour protéger son bébé et ses hôtes nous place dans une tension extrême. Ce moment brutal, violent en dépit des hors-champs, questionne la remarque faite un peu plus tôt par Halima à Oum à propos de son courage. Aux yeux de Halima, Oum Yazan est courageuse de rester vivre là et de tenir sa famille autour d’un quotidien censé rassurer un peu. Mais ce courage est-il diminué pour autant lorsque Halima est seule face aux outrageux et qu’elle, Oum, n’intervient pas ?

Philippe Van Leeuw laisse Bachar el-Assad, les acteurs du conflit et la complexité de ses enjeux hors du film. Une famille syrienne se concentre sur l’humain et ce qu’il est et devient en pareille situation. La guerre en Syrie dure depuis 2011 et, au cœur d’une actualité brûlante, le film tente de faire réapparaître des victimes oubliées, celles que « le monde dehors » abandonne à son sort, ce monde qui, à cause de son indifférence, en effet ne vaut plus rien.

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