Un transport en commun

Dyana Gaye, 2010 (Sénégal)


EN DEHORS DU TRAIN-TRAIN QUOTIDIEN


Sur les routes sénégalaises Dyana Gaye trace un road-movie musical où le « commun » du transport prend tout son sens. Regard dans le vague, casque vissé sur la tête, les transports en commun s’apparentent souvent à une compétition où le gagnant est celui qui ignorera le mieux son voisin. Si cette vision colle parfaitement au métro parisien, le transport en commun sénégalais de Dyana Gaye n’a rien d’un train-train insipide.



LA VOITURE, UN PERSONNAGE
Plan d’ensemble sur d’innombrables toits de voitures, des hommes tels des fourmis circulent entre elles. La caméra traverse les carlingues, gros plan sur un Dakarois assis à l’avant d’un tacot défraîchi, quelques bribes de musique s’échappent du poste radio. Le décor est planté et la voiture, personnage récurrent d’Un transport en commun, occupe déjà tout l’espace.

On ne s’attend à rien sauf peut-être à somnoler comme des itinérants fatigués à l’arrière d’une auto démodée. Lassés et désireux de partir au plus vite, des voyageurs attendent désespérément le septième passager pour remplir leur voiture. Pour de diverses raisons, tous veulent rejoindre au plus vite Saint-Louis. On en conviendra : l’originalité du scénario n’est pas pour rassurer sur l’intérêt du film. Quand, contre toute attente, l’un des voyageurs se met à chanter ! D’un banal « road trip » aux accents africains Dyana Gaye transporte sa narration vers une comédie musicale insolite et surprenante. Et c’est parti pour 48 minutes de chansons et de chorégraphies improbables entre deux embouteillages et accrochages. En somme les airs yéyés-pop d’un Chantons sous la pluie ou d’un Demy et ses Demoiselles de Rochefort en version sénégalaise et carlingues suffocantes.

Il fallait oser, Gaye l’a fait. Le plus étonnant c’est que la recette fonctionne. À travers les scènes de chants la réalisatrice donne une dimension poétique et profonde à son road-movie. À chaque litanie les personnages dévoilent leurs peurs, leurs chagrins mais aussi leurs rêves et leur bonheur. La musque adoucissant les mœurs, la petite troupe apprend finalement à se connaître et se comprendre. Les liens d’amitiés et même d’amour se tissent au rythme du périple. Les destins se mêlent au fil des kilomètres. Au-delà de l’exploration des sentiments, la réalisatrice dévoile également la réalité d’un monde africain en mutation. Entre tradition et modernité, la barrière Orient-Occident semble vaporeuse. La présence du fameux voyageur Français, (et oui c’était lui le retardataire !), béret sur la tête, représente les relations franco-africaines. D’abord “Toubab” le voyageur de l’hexagone devient un Dakarois parmi les autres.

UN APARTÉ RAFRAÎCHISSANT
Léger, ce court-métrage n’en est pas moins une réflexion pertinente sur les rapports humains. Les chansons un brin désuètes entraînent le spectateur dans un monde irréel. Le chaos des routes de campagne est traduit par une caméra qui tressaute, superposé à des travellings hypnotiques dévoilant une Afrique tantôt sauvage tantôt urbaine. Loin d’être ringard ou ennuyeux le transport en commun vu par Dyana Gaye mêle onirisme et situations quotidiennes, avec adresse et douceur. Dans la chaleur du Sénégal, un aparté rafraîchissant.





Céline Gardet, pour la 35e édition du Festival des 3 Continents

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