La tête haute

Emmanuelle Bercot, 2014 (France)

Tête haute


LES COMBATTANTS


Malony et Tess sont des combattants. Après l’avoir rencontré dans un Centre éducatif fermé (CEF), tombée amoureuse, Tess (Diane Rouxel) décide d’embrasser toute la hargne et l’agressivité de Malony. Lui (Rod Paradot), garçon âpre et revêche, d’un éducateur à l’autre, d’un CEF à un CER (« R » pour renforcé), se bat pour trouver sa place dans une société dont il éclate systématiquement les cadres. Souvenons-nous alors du regard inquiet de Malony une dizaine d’années en arrière, tout petit enfant dans le bureau de la juge, lorsque sa mère, droguée et désemparée par des fils dont elle n’a jamais su s’occuper, claque la porte emportée par une colère aveugle. A cette inquiétude, Malony a tôt répondu par la violence et la délinquance : rapport conflictuel avec tous et tout le monde, vols de voiture et, sans jamais se soucier des lois, échappées belles en coupant à la traverse.

Les éducateurs des centres spécialisés, celui mandaté par la juge pour enfants, la juge elle-même sont des combattants. Emmanuelle Bercot les filme avec une approche quasi documentaire (on évite la bande de potes et l’objectif intrusif de Maïwen dans Polisse en 2011, ouf !, alors qu’un tel sujet n’imposait que la pudeur la plus simple). Dans le bureau de la juge et au tribunal (Catherine Deneuve, bienveillante ex-Marianne), les images de la 10e chambre de Depardon (2003) nous reviennent à l’esprit. La juridiction n’est plus la même, les hommes et les femmes en cause ne sont plus mineurs, mais dans les deux films le champ-contrechamp les confronte sèchement à une justice (une juge là aussi) qui, malgré les tensions, les rancœurs ou l’amertume, se tient à leur écoute. Elle les considère et, au moins dans le cas de Malony, gamin multirécidiviste, lui tend une fois de plus la main. Aux côtés des adolescents à la marge, aux côtés de Malony, les éducateurs, eux, sont bousculés, encaissent et, à force de désillusion, s’interrogent dans leurs plus mauvais moments sur leur rôle et l’efficacité du système qu’ils servent (Elizabeth Mazev ou Benoît Magimel solide et convaincant comme souvent). Pourtant, les cadres qu’ils tentent de reconstruire, les repères qu’ils s’efforcent de donner, les objectifs qu’ils n’ont de cesse de rappeler sont nécessaires, et peut-être davantage à ces mauvaises graines qu’à d’autres.

La mère enfin, irresponsable et noyée dans une réalité sociale contre laquelle elle butte et se cogne, n’est malheureusement pas le problème du seul adolescent… Il est entièrement celui du film. Ce personnage dont jamais on ne se débarrasse est là, au final peu présent, mais terriblement gênant. La réalisatrice confie ce rôle à Sara Forestier, peut-être pour tracer un lien avec des films comme L’esquive (Kechiche en 2003, Sara Forestier adolescente y jouait la très impulsive Lydia) ou Le nom des gens (Michel Leclerc en 2010, cette fois l’actrice en une drôlatique jospiniste). Cependant, ces films et ces personnages demeurent très éloignés de la mère lamentable de Malory et de Bercot. Jeu excessif et prothèse dentaire ridicule : elle est un contre-sens si on la compare aux autres marginaux. Son personnage est un artifice grotesque inconciliable avec une démarche « naturaliste » (les guillemets pour indiquer une tendance car on ne croit pas à l’adhésion du cinéma de Bercot au concept ; quoique celui associé par Deleuze d’image-pulsion pourrait en dépit de ces réserves s’y appliquer). Il handicape le film comme un herpès labial ou buccal empêche de parler et dessert l’idée exprimée… Alors que l’on imagine aisément la réalisatrice se renseigner avec précision sur la justice des mineurs et sur les centres décrits, travailler son scénario au plus près, justesse des dialogues et rythme des situations, bref préparer au mieux son cinquième film, on ne comprend pas comment le personnage de la mère a pu être accepté tel quel (le montage de la première scène, justement, l’évite et jamais ne la cadre).

Même si au dernier plan, un joli plan-séquence qui plus est, on emboîte volontiers le pas de Malony, lui qui n’a jamais connu que l’enfermement (social et administratif -une étiquette sur un profil- probablement autant que spatial…), des couloirs du palais de justice à l’extérieur, à cause de la mère, longtemps après le film, on garde à l’esprit une représentation bourgeoise indécente de la pauvreté sociale qui décrédibilise le portrait de l’ado en souffrance, l’éloge des travailleurs sociaux, bref tout le discours de la réalisatrice. C’est pourquoi au réel dont le film essaie de rendre compte et à la résistance de Malory contre sa propre vie, on préfère la résistance plus trouble de Bettie (Elle s’en va, 2012) ou mieux, celle d’autres Combattants (ceux de Cailley, 2014) qui par d’autres biais quittent le réel et s’élèvent toujours vigilants.

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Une réponse à “La tête haute”

  1. Un très bon film qui pêche sans doute trop par l’empathie que la réalisatrice cherche à tous les protagonistes (non tout le monde n’est pas gentil !). Mais magnifique performance des acteurs (belle révélation) et une bonne immersion dans le système

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