Slacker

Richard Linklater, 1991 (États-Unis)

Courbures multiples entre lesquelles chaque segment est habité d’une histoire détachée de toute temporalité, dix ans avant Wacking life (dans lequel le principe est repris), Slacker enchaîne les saynètes et les lie dans une déambulation complexe prenant l’apparence des méandres du cerveau. À chaque personnage ou groupe de personnages suivi, la caméra prend une direction, puis en change un instant plus tard. Linklater zappe d’un quotidien à un autre comme une pensée en chasse une autre.

Le rythme de la narration, l’allure des protagonistes, leur parole, le montage, tout le film épouse la structure d’un système de pensées sans arrêt diverti par ce qui se passe autour : du plus futile au plus absurde, en passant par des faits divers, des choses qui ne sont pas comprises, des mélanges déroutants, des mystères et des idées que l’on a mais dont on ne veut pas… Dans Slacker, des mecs prennent des bières et développent des théories sur les Schtroumpfs, une fille croisée veut nous vendre un frottis vaginal de Madonna, des gamins font les quatre cents coups, tandis que dans une bibliothèque de quartier, au rayon « complots », « l’expert JFK » (tel qu’il est désigné dans le scénario) développe sa propre version des faits du 22 novembre 1963. Linklater est lui-même le premier de cette suite et, dans le taxi qui le conduit, il fait ce parallèle avec les voies empruntées par Dorothée et ses compagnons dans le Magicien d’Oz (Fleming, 1939) : autant de chemins que de réalités possibles. D’ailleurs, dès cette scène d’introduction, le réalisateur se livre à une mise en abîme : il raconte un rêve qui s’avère être l’histoire de son premier long-métrage, It’s impossible to learn to plow by reading books (1988).

Dans Slacker, un jeune invite encore des copines voir un groupe en concert, sans succès, ailleurs une fille essaie de convaincre son mec de profiter du soleil dehors, sans succès, il y a plus loin un paumé qui veut cambrioler la maison d’un vieil anarchiste, sans succès. Mais il y a des trucs qui fonctionnent aussi dans ce coin d’Austin. Les rencontres, par exemple. Les gens se déplacent, se trouvent et échangent, ce qui modifie, ce que l’on peut imaginer tout du moins, le tracé des vies croisées. À moins que tous ne soient rêvés par un gars de presque trente ans qui, rentré d’une plate-forme pétrolière, cherche à vivre de sa passion. Slacker est fauché, l’idée filée est intéressante et le film s’avère plus riche qu’il n’y paraît. Cet été 1989, la génération X ainsi exposée glande, c’est sûr, mais sans jamais tourner en rond.

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