Le retour de l’enfant prodigue

Youssef Chahine, 1976 (Égypte, Algérie)

Une famille s’entre-déchire l’espace d’un été. A la fin, il n’y a plus que les enfants pour partir et espérer reconstruire mieux ailleurs. Ainsi présentée, l’histoire est sans complexité apparente mais, comme dans la plupart des films du cinéaste (Gare centrale, 1958, ou La terre, 1968), elle possède quelque résonance historique et une forme toute kaléidoscopique (film social, comédie musicale, tragédie familiale, parabole politique, comédie de mœurs…).

Ali a disparu depuis douze ans, dont trois passés en prison. Il est l’enfant prodigue. Chahine filme parfaitement son retour parmi les siens, l’amour non retenu que lui portent ses proches mais aussi, dans son comportement, les subtilités qui trahissent sa longue absence, les attitudes qui devraient être spontanées et qui ne le sont pas, ce à quoi on tente de ne pas accorder d’importance mais qui malgré tout gêne ou blesse (il ne reconnaît pas la fille aimée jadis et la prend pour une femme morte depuis ; il ignore son neveu qui a pourtant hâte de partager ses envies d’Occident avec lui). Silences et maladresses suivent les youyous des femmes au point que toutes ces retrouvailles finissent par donner une impression de malaise et d’insincérité.

Le retour d’Ali est montré dans un montage parallèle avec les funérailles de Nasser. Chahine, déçu par le gouvernement égyptien depuis les années 1960, veut-il faire revenir l’espoir avec Ali ? Parents et entourage ont en effet l’air de croire qu’Ali est capable de beaucoup : l’ouvrier Hassouna pense que la situation va désormais s’arranger, Ibrahim (Hesham Selim) croit d’abord trouver chez son oncle un soutien, Fatma espère maintenant se marier avec cet amour de jeunesse jusqu’à ce que malheureusement il la confonde avec une autre…

A l’opposé du fils prodigue, se tient solide et sévère, Tolba, son frère (Shukry Sarhan). Il est à la tête de la famille, de l’exploitation agricole et du pressoir qui emploie quelques ouvriers. Il porte les valeurs de la tradition et, grâce à son travail, aspire à la prospérité des siens. Il fait régner l’ordre, fût-ce au prix de rêves bafoués et de libertés supprimées (le passeport d’Ibrahim déchiré et le violent sermon d’un père qui veut son fils auprès de lui et dans l’entreprise familiale).

Selon Chahine, la séquence finale est à l’image du monde arabe au milieu des années 1970, un violent conflit entre frères (la guerre civile au Liban éclate en 1975). Mais chez Youssef Chahine, comme chez André Gide d’ailleurs (Le retour de l’enfant prodigue, 1907), le personnage le plus important n’est pas le prodigue lui-même, mais le plus jeune, ainsi que, dans le film, son amie jouée par la belle Magda El-Roomy. La jeune génération est celle à qui le pouvoir d’insoumission et de révolte est transmis, celle qui fera sa propre expérience de liberté, et (ce que l’on voit comme un souhait dans les yeux du grand-père, Mahmoud El-Meliguy) qui s’épanouira loin des racines pourries, dans un ailleurs occidental, ou bien lunaire.

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