Printemps dans une petite ville (Xiao cheng zhi chun)

Fei Mu, 1948 (Chine)

 

UN AMOUR APHONE

 

Printemps 1946, une petite ville du sud de la Chine renaît de ses cendres. Au loin le spectre de la guerre s’éloigne peu à peu et la vie reprend son cours, du moins ce qu’il en reste. A l’image de la maison délabrée et des pierres entassées dans le jardin, Printemps dans une petite ville, raconte l’histoire d’un carré amoureux : un couple – attendant comme le mur de se reconstruire –, la petite sœur et l’ami d’enfance du mari. Considérée comme le « Meilleur film chinois de tous les temps » par la Hong Kong Award, à la fin de la censure causée par la révolution culturelle prolétarienne chinoise, cette œuvre de Fei Mu de 1948 a été réadaptée au cinéma par Tian Zhuangzhuangs en 2002 sous le même titre Printemps dans une petite ville.

Yuwen est tiraillée entre un amour enfoui qui resurgit et les dix dernières années de vie – ou de survie – qui la lient, malgré tout, à son mari souffrant. Le thème de l’amour passé à oublier ou à embrasser, raviver son présent ou réactualiser son passé ? En somme, des ingrédients classiques du cinéma de tous les continents. Et pourtant, Printemps dans une petite ville ne véhicule ni clichés, ni ennui, mais pose des questions, impose du suspense. A travers des plans très simples en noir et blanc, Fei Mu sublime les émotions des protagonistes, avec des plans presque iconiques, comme s’il maniait sa caméra tel un peintre maniant son pinceau. Qu’on se le dise, la technique n’a rien de jubilatoire en 1946 et compose avec les moyens de l’époque : quelques fondus, des cuts et raccords approximatifs et un son post-synchrone, à mi-chemin entre muet et parlant, qui laisse à désirer. Mais au fond ce n’est pas le plus important. Ce qui l’est en revanche, c’est la modernité que porte cette œuvre d’amour intemporelle à la croisée d’une Chine en transition idéologique : la métaphore d’un mariage délabré à travers l’image de la maison en ruine, tel le pays affaibli par la Seconde Guerre mondiale.

LA VALSE LENTE D’UN BALLET AMOUREUX
Yuwen et Liyan, la quarantaine, sont mariés depuis 10 ans mais font chambre à part. En voix off teintée de nostalgie, Yuwen raconte ses journées routinières et avoue : « Liyan n’a pas la force de vivre et moi je n’ai pas le courage de mourir. » Tout est dit. Le temps qui ne passe pas, la vie qui semble trop longue confrontée à la souffrance d’un mari et à l’ennui de sa femme.

Le temps s’illustre par le ballet des saisons qui rythme celui des passions. Le printemps est le chef d’orchestre des allers-retours entre le passé et le présent. La danse du temps est également symbolisée par les 4 personnages d’un carré amoureux : Liyan toujours vêtu d’un habit traditionnel, qui est détruit, tout comme son pays meurtri par la guerre ; Yuwen, cœur de l’histoire de par son rôle de narratrice et sa place au centre des relations humaines de ce huis clos, qui semble littéralement tiraillée entre l’immobilité (son mari) et le mouvement (Zischen qui veut s’enfuir avec elle) ; la petite sœur du mari, irritante, mais métaphore de la rupture avec la tradition, de par son rapport étroit avec l’art ; et enfin Zischen, médecin et ami de longue date dont la jeune fille est éprise, qui arrive telle une délivrance, tel un pansement qui remet de la gaieté dans la maisonnette et insuffle un sentiment de renaissance.

 

DES ELLIPSES SUGGESTIVES

Les 90 minutes de ce film vont « crescendo » : des séquences plus courtes au début symbolisent la retenue, puis davantage de valeurs de plans accélèrent… Comme le temps, la passion qui monte et les interactions qui s’échauffent. Pour Yuwen, il est temps de choisir : s’enfuir avec cet amour passé ou rester, et tenter de rallumer la flamme de son mariage en perdition ?

C’est encore le temps qui va porter la tension sexuelle entre les personnages ; les ellipses vont susciter chez le spectateur une certaine curiosité et en même temps une certaine frustration. Rien n’est montré ; tout est suggéré. En cela on reconnaît bien la pudeur du 7ème art chinois. Une pudeur qui traverse les décennies de ce cinéma. Après une altercation et un prémisse de rapprochement avec Zischen, Yuwen passe le bras au travers d’une fenêtre. On pense aussitôt à la scène du poing dans le mur du film In the mood for love de Wong Kar Wai (2000).

DES SENTIMENTS EN SOURDINE
Cette œuvre suscite du désir. On aimerait que tout s’enflamme, que se calme et cette routine explosent. Fei Mu porte à l’écran une force sentimentale étonnante face à la lenteur et à la froideur de son cinéma. L’intensité des sentiments des personnages habite à elle seule tout le vide de ce Printemps dans une petite ville. Tout du moins, gardons une certaine réserve à l’égard de la frustration que ce récit lancinant provoque : aucune embrassade ou enlacement un tantinet torride, rien. On devine. On imagine. Sans jamais savoir. L’adultère n’est jamais montré. Dans ce printemps, le spectateur recherche une éclosion, une renaissance et parfois aimerait se trouver en été, cette saison des extrêmes. Mais il s’agit d’un doux printemps où les fleurs s’ouvrent chastement. C’est là tout l’art de ce cinéma pudique : susciter du désir chez le spectateur et donc de l’émotion très simplement. Sans explosion.

Klervi Drouglazet et Léa Morillon, pour la 35e édition du Festival des 3 Continents

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