Possession

Andrzej Zulawski, 1981 (France)

« NÉ de la SEMENCE de BÉLIAL »

 

Mark et Anna (Sam Neill et Isabelle Adjani) ont un petit garçon prénommé Bob et possèdent un appartement avec vue sur le mur de Berlin et ses sentinelles. Le couple se sépare. Elle le trompe depuis un an. Il essaye de comprendre, refuse de la laisser partir. Très vite le récit nous plonge dans une sorte d’hystérie contagieuse : des cris, des coups, du sang dans la bouche et la chair tranchée. Elle fait glisser un couteau sur sa propre gorge. Il se taillade le bras au ciseau électrique. Tous deux se font du mal à en devenir fou et deviennent fous à se faire mal.

Complexe en diable dans tout ce qu’il est possible de lui faire dire, Possession raconte bien la destruction d’un couple mais également son remplacement par son double. La maîtresse de Bob, Helen, ressemble trait pour trait à Anna, exceptés les yeux, d’un vert brillant, et les cheveux plus clairs. Le double de Mark est né quant à lui de la volonté d’Anna. C’est un corps en gestation materné et aimé dans sa chair qui, au milieu de ses sécrétions, dans un appartement abandonné aux murs décrépis, prend lentement l’apparence parfaite de Mark. En pleine Guerre Froide, la substitution d’êtres humains par d’autres absolument parfaits (et en cela parfaitement monstrueux) rappelle ce qui arrivait sur une base scientifique américaine au Pôle Nord ou au Pôle Sud, selon la version, dans La Chose d’un autre monde (Nyby et Hawks, 1951 ou le remake de Carpenter, The Thing, réalisé en 1982). L’autre, le soviétique du point de vue occidental, était la menace capable à cette époque de faire disparaître n’importe qui et de le remplacer par un être plus « conforme ». C’est du moins ainsi que ce cinéma-là exprimait la crainte d’être la cible directe du bloc adverse, on pense alors moins à l’anéantissement d’une population sous les bombes qu’à son asservissement total par la menace et la propagande, c’est-à-dire le remplacement d’une opposition possible par une entière soumission. Dans son livre Cinéma Hermetica (éditions Super 8, 2016), l’essayiste herméneute (à moins que cet original-là ne soit gnostique cinéphile), Pacôme Thiellement, consacre un chapitre à Possession. Thiellement, qui écarte le sujet politique soulevé par Zulawski, rapproche Possession d’un autre film, The Stepford wives (Bryan Forbes, 1975), dans lequel ce sont les femmes qui ne sont plus tout à fait elles-mêmes, répliques dociles et sans âme des compagnes originales.

Pourtant, d’autres éléments du film nous ramènent vers le traitement politique de Possession. L’espace géographique du film tout d’abord : dans la grisaille ambiante, la capitale est-allemande coupée en deux dit déjà tout d’une privation des libertés, d’un empêchement et d’une rupture. La topographie décrite (l’intérieur des appartements, les cours d’immeubles, les rues) dessine un vaste espace clos favorable à la création de toutes les abominations. Puis, il y a ce mystère, cette scène qui répond à un tout autre régime dans le film : Mark, dont on ne sait à cet endroit s’il est victime, employé, peut-être un espion américain en RDA, fait face à un groupe de décideurs placés derrière une table dans une grande pièce vide que la caméra investit complètement en dessinant de larges cercles autour des personnages. Au cours de cet entretien on lui demande : « Est-ce que notre sujet porte toujours des chaussettes roses ? ». On se croirait en plein Procès kafkaïen (celui repris par Welles par exemple en 1962). Et jusqu’à la grande spirale finale, tout le film n’est qu’un piège. De toutes ces manières, Possession témoigne à sa façon d’un climat et d’un contexte propre à ce qui pouvait être vécu dans les satellites européens de l’URSS : la surveillance continue, la paranoïa suscitée, l’explosion d’un appartement et la fuite en moto comme l’évocation d’un attentat… « Le communisme est un monstre visqueux » précisait Jean-Baptiste Thoret dès le titre d’un article sur le film (publié sur son blog Parallax view, 11 juin 2009)…

La possession du titre est par conséquent amoureuse, démoniaque, politique… Elle est encore celle d’un réalisateur Pygmalion qui entend prendre possession du corps de ses acteurs pour faire son film. En effet, la radicalité de Zulawski fait du tournage une épreuve pour les acteurs qui sont poussés à bout. Sam Neill se transforme au fur et à mesure du récit : son visage finissant dans certains scènes par exprimer la même rage que Nicholson dans Shining (Kubrick, 1980). Isabelle Adjani a parfois confié toutes ses difficultés à incarner Anna. Mais, en tenant compte de celui-ci, après Adèle H de Truffaut (1975), Le locataire de Polanski (1976), Nosferatu de Herzog (1979), les rôles confiés à Isabelle Adjani s’inscrivent sur une ligne courbe : celle de femmes fragilisées, fêlées, abîmées… Et si tous ses personnages ne sont pas eux-mêmes déments, dans les films cités, ce sont d’autres qui déraisonnent (Trelkovsky dans Le locataire…). L’évocation de ces rôles nous conduit alors à une hypothèse sur laquelle conclure : et si Possession n’avait été qu’un cauchemar ? Celui de Lucy en proie aux vampires. Un cauchemar « né de la semence de Bélial ».

2 commentaires à propos de “Possession”

  1. Je ne suis pas spécialement fan d’Andrzej Zulawski mais il faut reconnaître qu’il a frappé fort avec ce film. Certes, ce n’est pas un film plaisant ni agréable à voir, mais sa force, sa radicalité, sa manière de condenser autant de thématiques inspirent le respect. Ce film est un OVNI et n’a pas pris une ride quant à son impact sur le spectateur.

  2. Possession est le premier que je vois de Zulawski. Je ne sais pas si j’irai bien loin avec ce réalisateur mais ce que j’ai lu de L’important c’est d’aimer (1975 avec Romy Schneider, Dutronc, Kinski !) me donne envie de découvrir au moins celui-là en plus.

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