Les nuits de la pleine lune

Eric Rohmer, 1984 (France)

Luchini le dit sans détour : « Je ne crois pas aux villes nouvelles ». En filmant Marne-la-Vallée en 1984, Rohmer montre quelques aspects de l’avancement du projet mis en place dans les années 1960 en même temps que celui des métropoles d’équilibre et qui avait pour but de freiner la croissance en tache d’huile de Paris et de contribuer au rééquilibrage du territoire. Depuis la fin des années 1970, le RER fait la jonction entre le cœur de la capitale et la banlieue. Le cinéaste filme à l’horizontale les paysages sans charme de cette ville « qui n’avait pas bien mûri » et encore peu attractive : petits immeubles, bords de route, espaces en transformation (des marges urbaines que l’on reconnaît toujours aujourd’hui, friches et no man’s land périurbains, les rond-points en plus). Ce sont ces espaces que Rohmer cherchait déjà à comprendre dans ses moyens métrages, Le béton dans la ville (1963), Les Métamorphoses du paysage : l’ère industrielle (1964), et quatre documentaires pour la télé, Enfance d’une ville, Diversité du paysage urbain, La forme d’une ville, Le logement à la demande (1975). D’autres lieux sont privilégiés dans Les nuits de la pleine lune, les intérieurs chers à la Nouvelle Vague, le lit et le bistrot, propices aux longues conversations.

Louise (Pascale Ogier) se rend à la gare et, en train, fait la navette entre ces deux appartements, celui qu’elle partage avec Rémi (Tchéky Karyo qu’il est étonnant aujourd’hui de revoir dans pareille histoire) et celui qu’elle se réserve pour garder un peu d’indépendance. Entre les deux, Octave interprété par Fabrice Luchini, amoureux contrarié qui aimerait gagner un peu d’importance auprès de Louise (« j’ai besoin de me sentir au centre »)… Les dialogues sont fournis et le faible jeu des acteurs peut irriter. Pourtant, entre Paris et Marne-la-Vallée, au beau milieu des années 1980 (coiffures, vêtements, décors et musique -que signent Jacno et Elli Medeiros-), ces marivaudages, sur lesquels la lune aurait quelque incidence, amusent et nous plaisent*.

* Les nuits de la pleine lune, fait partie de la série « Comédies et proverbes » (1978-1987) et illustre le (pseudo ?) proverbe champenois « Qui a deux femmes perd son âme, Qui a deux maisons perd sa raison ». Les autres films du cycle : La femme de l’aviateur (1978), Le beau mariage (1981), Pauline à la plage (1982), Le rayon vert (1986) et L’amie de mon amie (1987).

A propos de Rohmer et des villes :
– T. JOUSSE, T. PAQUOT, « Un cinéaste dans la ville. Entretien avec Eric Rohmer », dans La ville au cinéma, Paris, Cahiers du cinéma, 2005, p. 18-27.
– C. DEMUR, M. LAGRANGE, Mémoires audiovisuelles des villes nouvelles françaises, Centre Audiovisuel de Paris (Forum des Images), Nausicaa Films, 2004 et consultable ici.
– « Eric Rohmer, un « « géo-cinématographe » de la ville ? », juin 2009, sur le site (e)space et fiction.

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