Nuit du chasseur, La

Charles Laughton, 1955 (États-Unis)



Sur les murs de la chambre, la silhouette du croque-mitaine terrifie. Le monstre porte un chapeau aux larges bords et un nœud autour du col pour paraître en société. Il se fait passer pour le révérend d’une religion toute personnelle (« Beware of false prophets which come to you in sheep’s clothing but inwardly they are ravening wolves »), peut-être le père enragé du jeune Sunday (There will be blood de Paul Thomas Anderson, 2008)… Il a les traits de l’impressionnant Robert Mitchum et se nomme Harry Powell. Cependant, les enfants ne s’y trompent pas.


NUIT NOIRE
Charles Laughton et son directeur de la photographie, Stanley Cortez (embauché par Welles et Lang), installent le récit dans un espace étrange et oppressant que les ténèbres recouvrent (un noir profond envahit le cadre sur de nombreux plans). La mère inerte au fond des eaux du fleuve et sa chevelure ondulant avec les algues a la beauté de l’Ophélie de Millais. Vus de l’intérieur en coupe, les sous-toits de la maison familiale donnent parfois aux pièces l’inquiétante allure d’une nef sous une voûte où Powell a toute sa place. Le trajet en barque des enfants (John et Pearl) est observé derrière une toile d’araignée, plus loin par un crapaud ou deux lapins (presque les illustrations des contes de Perrault ; « Barbe-Bleue ! » s’écrie la population avide de justice lors du dénouement ; on pense également au Petit poucet ou à Hänsel et Gretel des frères Grimm). Les terreurs enfantines propres aux contes sont développées par les thèmes de la cave, de la fuite nocturne de John et Pearl, de l’ogre chasseur lancé à leurs trousses. Un cauchemar éveillé ? Une nuit étoilée introduit l’histoire alors que les premiers mots entendus viennent d’un chœur d’enfants :

« Rêve, mon petit, rêve, Rêve, mon petit, rêve
Oh, le chasseur dans la nuit
Remplit de peur ton cœur d’enfant
La peur n’est qu’un rêve
Alors, rêve, mon petit, rêve »

L’entrelacement entre un possible rêve et la réalité ainsi que l’évanescence des scènes évoquées dialoguent avec l’atmosphère embrumée de Vampyr (Dreyer, 1932).


LE VACILLEMENT DES ÉTOILES
John et Pearl ne se tirent pas seuls de leurs péripéties. Le hasard les conduit devant la demeure de Rachel Cooper (Lillian Gish) qui les recueille et les protège. Pourtant, loin d’être une fée, son personnage n’est pas aussi protecteur qu’il en a l’air. Avant qu’un panoramique vertical ne nous rassure et nous la présente des pieds jusqu’au visage, lorsqu’elle rencontre les enfants la première fois, cette dame sévère s’arme d’un jonc et, derrière eux, fouette l’air avec pour les menacer. D’autres enfants abandonnés sont à son service et, selon ce qu’elle dit navrée, ils sont les conséquences de femmes naïves et insensées ; Powell, lui, est haineux envers les femmes qu’il estime toutes pécheresses. Enfin, une nuit, alors qu’ils sont tous deux assis à quelque distance mais filmés dans le même cadre, elle joint sa voix à celle du faux pasteur et entonne un cantique. Si Rachel remplit bien le rôle de l’adjuvant, les enfants, en échappant aux pattes de l’ogre, tombent aussi dans celles de l’ogresse (un oiseau en cage visible en ombre chinoise depuis la fenêtre de la ferme ne laisse pas d’illusion sur le sort de John et Pearl ; sans en être conscients, aux côtés de Rachel, ils renoncent à leur liberté).


LOVE AND HATE
Ainsi qu’il en fait la démonstration quand il se présente, Harry Powell tient le bien et le mal entre ses mains. Il les serre avec force en grimaçant et l’entremêlement de ses doigts figure dans son discours la lutte de l’amour contre la haine. C’est à l’homme de choisir lequel de ces sentiments il veut voir triompher. Pourtant, dans cette histoire, une émotion plus complexe se ressent ; un amour déroutant transparaît au travers de la haine, comme dans le décor les étoiles percent l’opacité nocturne. C’est John qui porte en lui ce sentiment nouveau et qu’il exprime lorsque Powell se fait finalement arrêter. La scène reproduit l’arrestation de son père (Peter Graves*) vue au début du film. De l’amour pour l’ogre ? Rachel conclue, « [Les enfants] supportent et endurent »…

La nuit du chasseur doit beaucoup à sa profondeur et à son étrangeté (les dernières scènes hésitent à clore le récit et déséquilibre la fin). La musique de Walter Schumann parfois excessive participe à l’ambiance. Charles Laughton ne réalise qu’un film. Une œuvre magistrale.




* Peter Graves qui a été acteur pour Ford, Preminger ou Tourneur est surtout connu pour avoir été entre 1967 et 1973 James Phelps dans la série Mission impossible.

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