Motif # 150

L’alchimiste devant son four

Dans La montagne sacrée (1973), que d’aucuns considèrent comme le Grand Œuvre d’Alejandro Jodorowsky, on assiste à une transmutation en laboratoire (ce qui n’est déjà pas chose commune) unique dans l’histoire du cinéma.

Invoquant le Christ, l’adepte travaille à partir d’excréments qu’il soumet à différentes opérations. Le personnage du Sauveur est placé sur l’athanor, « est chauffé » et sa sueur recueillie. L’alchimiste (Jadorowsky en personne) utilise ensuite cette sueur et en imbibe la matière fécale qui, tout en étant portée à ébullition, passe de noire à blanche. Toujours soumise au feu, elle est ensuite lentement transformée en cristaux jusqu’à devenir or en fin d’opération.

Le réalisateur franco-chilien devait connaître une de ces références alchimiques anciennes qui fait de la matière la plus vile un or de laboratoire possible. D’après J. van Lennep, Richardus Anglicus a cette recommandation : « Recueille çà et là ce qui est de la merde et fais-en un fumier » (Libellus utilissimum dans J.-J. Manget, Bibliotheca chemica curiosa, Genève, 1702, vol. II, p. 272). Mais ce qu’ajoute Jacques van Lennep, « De telles allusions aux excréments ne sont pas rares dans les traités alchimiques » et il cite Hermès et le Tractatus aureus ainsi que l’Aurora consurgens en exemple.

Il y a aussi ce Nebulo Nebulonum de Johann Flitner du XVIIe siècle, semble-t-il, et dont je ne sais rien. « Hic merdam cribrando movet »

Ou encore ce dessin satirique du XVe-XVIe siècle d’un homme à chapeau en alambic en train de se soulager, « Qui merdam seminat, merdam metet » (J. van Lennep, Alchimie, Dervy, 1985).

Dans la Sedacina (XIVe siècle), son auteur mentionne le stercus qui rentre dans la composition de sels sensibles (avec le sang, les os, le foie…) et cela quand il décrit la purification de la pierre elzabon (Livre II, VII, 22). Ailleurs, c’est de l’excrément de bœuf ou d’âne (de là à citer les écus et les gemmes qui tombent du derrière de l’animal dans Peau d’âne de Demy, 1970, il n’y a qu’un pas).

« Il ressort de ce qui vient d’être dit que le mercure, qui est la pierre non pierre des philosophes, peut-être amené à la perfection grâce aux substances extraites de la matière humaine et transformé selon un procédé unique en pierre et non pierre. C’est pourquoi il faut parler des eaux et des huiles qui sont à extraire de l’homme lui-même, et premièrement des cheveux, deuxièmement du sang, troisièmement de l’urine et quatrièmement des excréments » (Sedacina, Livre II, XVII, 6, trad. Pascale Barthélemy)

Dans La montagne sacrée, il est question d’accéder à l’immortalité, mais dans son audacieuse expérimentation cinématographique, il s’agit moins d’y parvenir par un élixir ou de l’or rendu potable que par un trip hallucinatoire absolument génial.

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