Massacre à la tronçonneuse (The Texas chainsaw massacre)

Tobe Hooper, 1974 (États-Unis)

Voici l’un des grands films polémiques des années 1970. Il sort aux États-Unis en 1974 et ne sera présenté en France qu’en 1976 au festival d’Avoriaz où il reçoit le prix de la critique. Mais la commission de contrôle française interdit son exploitation. Il faut attendre 1982 pour qu’il sorte enfin dans les salles. Dans d’autres pays comme la Grande-Bretagne, il ne sort qu’en 1999 !

L’histoire est simple : cinq jeunes gens partent dans une région perdue du Texas où certains ont passé leur enfance. Très vite la virée tourne au cauchemar : rencontres avec des individus douteux, panne d’essence… Mais le pire les attend quand ils décident d’aller frapper à la porte d’une maison isolée. Le scénario s’inspire d’une histoire vraie, celle du tueur en série américain Ed Gein qui assassinait des femmes et profanait des tombes dans les années 1950. Il influence nombre de cinéastes pour plusieurs classiques du genre (Psychose d’Alfred Hitchcock en 1960 ou Le silence des agneaux de Jonathan Demme en 1991).

Alors, que retenir du Massacre ? Beaucoup réagissent avec dégoût et se demandent encore comment ce type d’histoire peut germer dans le cerveau d’un individu sain d’esprit. D’autres (et c’est mon cas) pensent que c’est un modèle du genre bien plus riche qu’il n’y paraît. Beaucoup de détracteurs, des inconditionnels de l’hémoglobine, ont dénoncé le fait qu’il n’y ait si peu de scènes gores. Tobe Hooper a en effet préféré suggérer plutôt que montrer (l’effet n’en est bien sûr que plus efficace). La musique, froide et métallique ajoutée au bruit assourdissant de la tronçonneuse et aux cris stridents de l’héroïne (Marilyn Burns) rend l’atmosphère oppressante, à la limite du supportable.

Pour aller plus loin, osons une esquisse analytique plus politique et sociale du film. Tobe Hooper montre la crise naissante aux États-Unis (l’après choc pétrolier de 1973). La famille de tueurs est en effet composée d’individus « déstructurés » suite à leur licenciement de l’usine. Ils sombrent dans la violence et perdent tout repère. Le long métrage montre également des alcooliques, des hippies et tout un tas d’individus louches. Le réalisateur ne veut-il pas tout simplement pointer du doigt une société américaine au bord du gouffre ?

Massacre à la tronçonneuse est devenu culte avec le temps. Le réalisateur invente un nouveau genre, le « survival », même si Délivrance de John Boorman avait ouvert la voie dès 1972. On ne compte plus aujourd’hui le nombre de productions retraçant les déboires d’une bande d’adolescents perdus entre les pattes d’un tueur psychopathe, cependant très peu sont aussi réussis que le film de Hooper, citons néanmoins La colline a des yeux de Wes Craven (1977) ou plus proche de nous Wolf creek de l’Australien Greg McLean (2004).

7 commentaires à propos de “Massacre à la tronçonneuse (The Texas chainsaw massacre)”

  1. Sous la pression (amicale) de Benjamin, j’ai revu le Massacre de Tobe Hooper. J’adhère complètement à la vision du film exposée ci-dessus et je me permettrai quelques commentaires et ajouts.

    Comme Etienne l’a soulevé, Texas Chainsaw Massacre est un film de crise, économique mais aussi morale. Après l’âge d’or des années 1950, l’espoir de changement des années 1960, l’Amérique doute d’elle-même dans les années 1970. Le retrait des troupes américaines du Vietnam en 1973 marque un certain recul international des États-Unis alors que l’URSS a le vent en poupe dans le grand jeu de ces années de Guerre Froide. Sur le plan intérieur, l’autorité que représente la présidence est mise à mal par le scandale du Watergate, qui éclate en 1972 pour aboutir à la démission de Nixon en 1974.

    Dans le film, le comportement meurtrier de la famille de tueurs tire son origine de leur licenciement de l’abattoir où ils travaillaient. Or le cinéaste ne se contente pas, au détour d’une scène, de nous donner une clé de compréhension, mais appuie tout le long du film sur ce fait. Dans le van, les futures victimes écoutent le frère en fauteuil roulant parler avec une certaine fascination du passage de l’abattage à la masse à celui au pistolet à air comprimé, modernisation qui a mis au chômage la famille de tueurs. Cela suscite la remarque d’une des passagères comme quoi elle n’a pas envie de connaître ces horreurs car « elle aime la viande ». Cette scène ne sous-entendrait-elle pas que la violence fascine une partie de la société américaine policée et qu’une autre partie veut bien profiter de cette violence (« la viande ») sans vouloir la voir (« l’abattage »).

    Le film signale à plusieurs reprises qu’autant Leatherface, le frère à la tronçonneuse, que le grand père complètement impotent étaient d’excellents tueurs de bestiaux. La violence qu’ils exerçaient leur assurait donc une place dans la société américaine, et cette place la même société la leur retire du jour au lendemain. Serait-il osé de faire un parallèle avec le retour des vétérans de la guerre du Vietnam à qui la société américaine a demandé d’exercer une violence exacerbée pour lui retirer après toute raison d’être ? L’année de sortie du film, le fait que les victimes soient un groupe de post-hippies nous y poussent.

    On peut également noter que dans Texas Chainsaw Massacre, comme dans d’autres films de la même époque, et au contraire des films d’horreur des années 1950 et 60, la menace n’est plus extérieure à la société américaine (l’extra-terrestre gluant symbole du communisme) mais générée par cette même société. La petite communauté rurale aux saines valeurs n’est plus la victime mais l’agresseur. Et cette remarque nous amène à faire le lien, déjà fait par Etienne entre la boucherie texane de Tobe Hooper de 1974 et la partie de chasse humaine de John Boorman de 1972 dans Délivrance.

    Les deux films ont beaucoup de points communs. Ils opposent deux groupes humains, l’un urbain, intégré dans la société américaine, l’autre rural, exclu de la modernité et vivant selon ses propres règles. A partir des années 1960, l’Amérique (re)découvre la misère profonde qui touche certaines régions du sud des États-Unis. Le choc est d’autant plus fort que les miséreux sont blancs, protestants et de souche anglo-saxonne, vivent à la campagne, en bref qu’ils sont inconfortablement trop proches de l’image mythifié de l’Amérique idéale. Faire de cette « racaille blanche » les antagonistes de films illustre donc cette crise identitaire de l’Amérique des années 1970. Alors est-ce un hasard si certaines scènes de Texas Chainsaw Massacre et de Délivrance se ressemblent ? Je pense en particulier à ce moment qu’est « l’arrêt dans la station service au milieu de nulle part », où la confrontation des deux mondes se cristallise sans, encore, sombrer dans la violence (même si elle est présente avant dans le film de Tobe Hooper). La station service en bord de route, par définition, est le dernier lien entre les deux mondes avant que l’on bascule de l’autre côté du miroir, la nature dans Délivrance, la maison de la famille des tueurs dans Texas Chainsaw Massacre. Cette confrontation préalable à une différence exotique pour les urbains de la société de l’Amérique profonde va devenir une scène classique reprise dans de nombreux films. Au hasard de mes souvenirs, La Maison des 1000 morts (2003) et Devil’s Rejects (2005) de Rob Zombie, qui ne cache pas la filiation de son diptyque avec le film de Hooper et le sympathique Tucker and Dale vs Evil (2010) où ce type de scène est parodié.

    Enfin, pour finir, quelques éléments qui font de Texas Chainsaw Massacre un grand film, de mon point de vue, au-delà de son titre qui faisait rêver l’adolescent dépourvu de magnétoscope que j’étais. Outre la bande son déjà signalée, la photographie sert particulièrement bien le propos de Tobe Hooper. Je ne sais si c’est voulu ou si c’est un effet des pellicules utilisées dans les années 1970 mais la première partie du film est comme écrasée de soleil rendant l’atmosphère bien plus angoissante et poisseuse que la nuit et la brume de l’horreur gothique. Atmosphère que j’ai retrouvé dans L’autre de Mulligan de 1972. Le film m’impressionne également par son sens du petit détail, qui nous glisse des indices supplémentaires à chaque visionnage. De la marque sanglante sur le van qui est de celle que l’on place sur le bétail, au filet de camouflage qui cache les voitures des précédentes de victimes de recherches aériennes, Tobe Hooper a soigné le travail et on sent le film pensé bien en amont, au-delà du simple divertissement horrifique. Et je ne peux qu' »admirer » la violence crue et réaliste des scènes de violences qui refuse toute progression scénaristique classique (à moins que je ne fasse un anachronisme de par la flopée de slashers des 40 dernières années) par leurs rapidités soudaines ou au contraire leurs longueurs interminables.

  2. Un « pistolet à air comprimé, modernisation qui a mis au chômage la famille de tueurs », ça me fait penser à Javier Bardem, monstre exterminateur dans No country for old men des Coen (2008) qui, justement au Texas, manie ce canon d’abattoir sur ceux qu’ils croisent et qui n’ont plus l’ombre d’une chance (l’importance de l’élevage et de l’industrie bovine dans cet Etat explique certainement la coïncidence).

  3. Aujourd’hui sort le film dans une version restaurée.

    Je lis ailleurs que Hooper réalisa un film de vampire, Les vampires de Salem, en 1979 (qu’il me faut donc voir !). Je suis aussi curieux de savoir si Invaders from Mars de 1985 répète les angoisses de la Guerre Froide (comme le fait l’original Invaders from Mars de 1953, produit la même année que La guerre des mondes de Byron Haskin), .

    Ailleurs, l’auteur d’un court article me dit tout l’humour du réalisateur que vous ne signalez pas, mais qui, semble-t-il, est plus marqué dans la suite Massacre à la tronçonneuse 2 (« L’homme de l’Ouest : Tobe Hooper entre onirisme et humour texan »). J-P. Mattei compare en fait toute la filmographie de Hooper à une attraction de type « « funhouse« , train fantôme toujours lancé avec précision, entre rire et terreur ».

  4. Plus que Délivrance, La dernière maison sur la gauche (1972) semble annoncer Massacre à la tronçonneuse. Les deux films partagent beaucoup de points communs : une mise en scène faussement documentaire (pour ne pas dire réaliste), une certaine proximité avec l’horreur, une action située en pleine Amérique profonde (et décadente), des protagonistes marginaux et/ou dégénérés et un regard critique sur l’American way of life. Plus que d’influence, je dirais que les films de Craven et Hooper partagent le même ADN et s’inscrivent parfaitement dans le même courant contestataire des années 70. Dans le même élan, il me semble important de signaler l’existence du Deranged de Jeff Gillen et Alan Ormsby, sorti lui aussi en 1974. Le film s’inspire des méfaits d’Ed Gein, tout comme The Texas chainsaw massacre. Mais soyons clair : le chef-d’œuvre de Tobe Hooper reste une expérience unique et n’a rien perdu de sa force.

  5. Jérémie Couston donne « 8 raisons d’aller voir ce chef-d’œuvre de l’horreur » présenté à la Quinzaine des réalisateurs cette année dans sa version restaurée.

    On retrouve parmi ces raisons plusieurs développées ici (film censuré, film d’influence, film critique…). J. Couston évoque aussi le tournage infernal (« C’est malsain. Nous travaillons sur un film malsain et nous devenons malades. Nous avons tous un sentiment de dégoût par rapport à nous-mêmes. » Dottie Pearl, la maquilleuse), la touche expérimentale apportée par Hooper (ambition de mise en scène décelable dès les premiers plans du film – voir le numéro de Blow up concocté par Alexandre Tylski -en lien ci-dessous- et consacré justement aux génériques de films d’horreur) ainsi que le film comme western dégénéré (certainement l’argument le plus intéressant car très complémentaire de la critique sociétale américaine ; « Debbie, la jeune fille enlevée par les Indiens dans La prisonnière du désert, de John Ford. Sauf que John Wayne n’est plus là pour venir la sauver »).

  6. Article méprisant et méprisable par une revue qui, de notoriété publique, exècre le ‘genre’, attend son exposition cannoise (bourgeoise, donc) pour enfin s’apercevoir de son existence, et accumule de façon éhontée les contre-vérités et autres ‘légendes urbaines’.
    Reprenons point par point mais rapidement pour ne pas trop perdre de temps avec ‘ça’ :

    1 – Hooper relit Psychose et la tragédie grecque – enfer familial, sang dans les coulisses – bien plus qu’il ne livre un ‘biopic’ d’Ed Gein

    2 – Même et surtout sur un plateau de film d’horreur – voire X – peuvent advenir des rires et de la complicité (cf. le tournage de Blue velvet) : l’accent complaisamment mis sur le caractère ‘malsain’ de l’entreprise en constitue une critique implicite

    3 – Marilyn Burns tourna juste après dans Le crocodile de la mort, bien vivante et même ‘brune’, puis s’orienta vers le théâtre ; sa supposée ‘dépression’ relève des ragots sensationnalistes parus à l’époque de Poltergeist avec ses morts dues à ‘la malédiction du film’ (encore attribué à Spielberg, malgré les dénégations de l’auteur, réitérées dans le dernier numéro -n°24- de So Film)

    4 – On peut faire remonter les origines du ‘slasher‘ à La baie sanglante de Mario Bava (1971) ; ranger Craven et Carpenter dans le même sac que la ‘franchise’ Vendredi 13, étalon du sous-genre, laisse songeur

    5 – Chaque plan du film démontre une parfaite connaissance technique et la volonté de faire un ‘vrai’ film de cinéma, figuratif et expressif, malgré le peu de moyens, et non une ‘série B expérimentale’, à l’instar de Cannibal holocaust, autre choc mémorable hâtivement rangé dans la case péjorative de ‘film amateur d’exploitation’

    6 – Les dénominations ‘rednecks‘, ‘white trash‘, ‘dégénérés’ et autres joyeusetés relèvent de la ‘discrimination’, au moins symbolique ; sur l’opposition dans le cinéma américain entre ville et campagne, cf. notre commentaire sur cette page

    7 – Voir en Leatherface, à la suite paresseuse du cinéaste, une métaphore engagée sur l’Amérique d’alors, l’étendard (étoilé) d’une critique sociale ‘politiquement correcte’ dont raffole la presse dite de gauche (ou de droite, donc) de ce côté de l’Atlantique, revient à négliger le caractère ‘profondément’ américain des Hooper, Romero et autre Carpenter – toujours se garder des équivalences ou de faire d’une oeuvre l’extension d’un bulletin de vote ; par ailleurs, J.-B. Thoret, dans un stimulant petit essai cité en source, voit (à raison) dans le boucher un autiste, piste beaucoup plus originale qui ouvre sur d’autres horizons d’analyse

    8 – Tobe Hooper signa d’autres films très intéressants, dont une suite actualisée à son opus texan, et il garde la foi – et son humour – dans le cinéma et lui-même, comme le démontrait son autofiction Midnight Movie parue récemment.

    Pour un autre regard, que l’on espère généreux, sur ce cinéaste :
    « L’homme de l’Ouest : Tobe Hooper, entre onirisme et humour texan » (Le miroir des fantômes, juillet 2014)

  7. Tout et son contraire a été dit à propos de ce film dont l’auteur de la chronique a rappelé la teneur sulfureuse. Faut-il y voir la marque des grandes œuvres qui, une fois sacrées, doivent immanquablement subir les foudres de détracteurs à contre-courant ? Sans doute, c’est en tous cas un avis que je partage.

    Pourtant, « Massacre » n’est pas le premier à faire rugir la tronçonneuse dans un film d’horreur. Il n’est pas non celui qui mettra le premier à l’honneur les méfaits d’un célèbre tueur en série du Wisconsin. Mais il y a la forme dans laquelle Tobe Hooper vient emballer un scénario réduit à la peau de chagrin. Cette forme suinte le sordide, le glauque, le sidérant plus que la peur panique. En effet l’humour est bien présent, mais c’est un rictus couleur de bile qui grimace aux coins de nos lèvres. Nos yeux écarquillés suivent ainsi le calvaire de ces jeunes étudiants en goguette qui vont bientôt voir leur « summer of love » tranché dans les grandes largeurs et éclaboussé d’hémoglobine, sous les feux implacables d’ « un affreux soleil noir d’où rayonne la nuit. »

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