Les estivants

Valeria Bruni Tedeschi, 2018 (France)

La première scène est assez savoureuse. Valeria Bruni Tedeschi (Anna) doit dire au-revoir à son compagnon Luca (Riccardo Scarmacio) puis se rendre à un rendez-vous très important avec son producteur (Xavier Beauvois, peu présent mais impeccable). C’est à ce moment-là, le plus mauvais, que Luca annonce à Anna qu’il voit une autre femme alors que le producteur lui, qui n’a rien entendu, n’a que la montre à l’esprit, insiste et la presse. Sauf qu’Anna veut savoir avec qui Luca la trompe et depuis quand, et pourquoi, et pourquoi là. Elle n’a pas une minute mais cherche à résoudre une situation dans une urgence qui peut s’avérer très périlleuse pour son couple. La scène a lieu dans un café et Valeria Bruni Tedeschi, qui est assise entre Luca qui lui brise le cœur et son producteur qui la précipite, est là entre drame et situation burlesque. L’actrice passe d’une certaine assurance à une grande confusion en peu de temps mais sans fausse note. Elle donne à voir par son jeu et en une seule scène toutes les fissures qui en un rien de temps craquellent son personnage et révèlent en elle une fragilité que l’on sent toujours proche de la folie. La grande réussite de la scène tient surtout dans cet entre deux tragi-comique qui nous régale et nous fige à la fois.

Le film [apprécié au même titre que les films les plus applaudis de l’an dernier] poursuit le sillon autobiographique creusé par la cinéaste et se tient comme une sorte de suite à Un château en Italie (2013). Dans Les estivants, la fiction que cherche à faire Anna ressemble beaucoup à ce précédent film de Valeria Bruni Tedeschi. Il est aussi question de la bourgeoisie industrielle italienne et du frère mort du Sida. Les personnages sont différents mais, chronologiquement, l’histoire des Estivants pourrait précéder Un château. Malheureusement, à l’inverse de la première scène décrite, la complexité qui suit ainsi que la longueur (plus de deux heures) diluent notre plaisir. Le film donne à voir beaucoup de personnages, de petites histoires, parfois presque touchantes (Yolande Moreau nue sur une modeste embarcation au crépuscule avec son amoureux ; ou les duos musicaux de Marisa Borini et Bruno Raffaelli), parfois plus banales (Noémie Lvovsky et le cuisinier, la disparition de Bruno), d’autres fois plus manquée (le personnage de Laurent Stocker). Valeria Bruni Tedeschi montre toujours tout ce qui la partage : sa fille et son amoureux, son travail cahotant, ses valeurs, sa famille, les vivants, les défunts… La réalisatrice se rappelle également des confrontations de classe de La règle du jeu (Renoir, 1939) et, sans insister, tient encore la question politique à portée de discussions (les migrants, les licenciements abusifs des grands patrons…). Peut-être conscient de ce trop plein, le film en rajoute et cherche à se placer au bord du gouffre, à créer l’abîme : la petite Célia (Oumy Bruni Garrel) est avec d’autres une spectatrice et assiste comme nous à cette grande représentation. Le dispositif théâtral (le découpage en actes, les fauteuils dorés, le décor de la grande demeure…), mais aussi les règlements de compte ou le casting remarquable rappellent d’ailleurs beaucoup Un conte de Noël de Desplechin (2008).

On pourra retenir d’autres scènes malgré tout, notamment lors du repas de famille, quand la caméra par exemple se recentre sur le couple formé par Pierre Arditi et Valeria Golino. Les acteurs d’une manière générale soutiennent le film et atténuent ses faiblesses. Ils offrent aussi des moments plus saillants, ainsi le visage impassible de Riccardo Scarmacio et celui sidéré de Valeria Bruni Tedeschi découvrant dans la rue, sur une publicité pour lingerie, le mannequin avec lequel son compagnon la trompe. L’épilogue, enfin, est un retour étiré, distendu, aux illusions quelles qu’elles soient. Plus de véritable tragédie, plus de véritable comédie, une errance dans un brouillard de cinéma qu’on ne parvient pas tout à fait à dissiper. [lien Cinetrafic – le catalogue de tout le cinéma 2019]

En DVD et VOD depuis le 2 juillet 2019 chez Ad Vitam. La page Facebook de l’éditeur.

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