Leatherface

Julien Maury, Alexandre Bustillo, 2017 (États-Unis)

D’une période de crise qui l’a vu naître (les années 1970) à une autre qui lui reste étrangère (les années 2010), voici un huitième récit pour le personnage de Tobe Hooper (Massacre à la tronçonneuse, 1974), son fameux masque de peau humaine de nouveau exhibé et son appendice tranchant motorisé difficilement brandi.

Leatherface revient sur les débuts de l’histoire et raconte la façon dont le petit Sawyer, dans la ferme familiale texane, est devenu un tueur acharné. Le film est construit comme un parcours suivi par Jed Sawyer (Sam Strike) qui, même si les réalisateurs s’imposent des situations sans originalité et propres à l’épouvante, n’est pas dépourvu de sens : à savoir, la ferme isolée pour commencer, une séquence dans un hôpital psychiatrique, une traque à l’homme en rase campagne et un retour à la ferme pour finir. Le parcours semble ainsi nous indiquer qu’il n’est pas possible au jeune Sawyer d’échapper à sa famille et en particulier à sa folle de mère (bonne idée que d’avoir confiée le rôle à Lili Taylor). Le spectateur attentif aura compris que la famille Sawyer complètement repliée sur elle-même n’a que faire des idées reçues sur la consanguinité et qu’elle considère tout pas fait à son encontre comme une agression. Le chemin parcouru trace une boucle qui aurait pu devenir un symbole fort, tout à la fois du conservatisme des Sawyer et de son instinct de survie, de l’autarcie autant que de la folie dans lesquelles ils s’inscrivent et se complaisent (Donald Trump ?). Cependant, le film ne développe jamais de discours véritable sur rien, que le premier degré de l’image ; à tel point qu’on pourrait utiliser l’image de la boucle décrite dans le film comme celle d’un certain cinéma d’horreur américain et contemporain. Dans ce cas, on imaginerait assez aisément les producteurs et les producteurs exécutifs dans les rôles de ces dégénérés de Sawyer qui, à force de ne plus financer que des remakes et des suites sans âme, seraient à leur tour devenus cannibales et consanguins.

Leatherface fait partie de cette vague de remakes de films d’horreur américains des années 1970-1980 réalisés par des Français enrôlés à Hollywood. Ainsi, avant Maury et Bustillo [1] : Alexandre Aja (La colline a des yeux, 2006, Piranha 3D, 2011) et Franck Khalfoun (Maniac, 2012, Amityville, 2017) [2]. Dans le dvd édité par Metropolitan, un entretien, excellent par les informations fournies, décrit l’expérience de ces Français avec les studios de productions Millenium Films. Ils parlent ainsi d’un casting de réalisateurs afin de déterminer qui sera le mieux « qualifié » pour faire le film. Apparemment, parce que le tournage a eu lieu entièrement en Bulgarie avec une équipe technique française et bulgare (Antoine Sanier à la photographie), Maury et Bustillo ont eu les mains à peu près libres pour la mise en scène et la direction d’acteurs. En revanche, c’est le montage et le film fini qui ne leur appartiennent plus. Les Français ont bien proposé un premier montage de deux heures mais les producteurs n’en ont rien fait. Finalement, Leatherface dure moins d’1h30 et la scène d’introduction comme la scène finale ne correspondent plus à la volonté des réalisateurs. Le dvd est suffisamment intéressant pour proposer les scènes alternatives et d’autres coupées au montage, on se rend alors vite compte du manque de cohérence du montage final et des intentions perdues comme le traumatisme de Jed et le regard d’enfant sur lequel les Français insistaient (ou encore une progression disparue dans l’attitude et la psychologie du personnage ; il est si attaché à sauver la jolie infirmière de l’asile, si attaché à elle durant le parcours fait en sa compagnie qu’il l’exécute sans hésitation sur simple ordre de sa mère).

On regrette alors finalement que Julien Maury et Alexandre Bustillo n’aient pas dit non au projet, comme ils avaient su dire non au projet du remake d’Hellraiser quand celui-ci, réunion après réunion avec les décideurs, finissait par complètement leur échapper [3]. Peut-être n’était-il pas possible de dire non à tout ? Peut-être Leatherface leur permettra de proposer un prochain projet plus personnel ? En attendant, l’œuvre cannibale va bon train, il suffit de jeter un coup d’œil aux projets de Milleniums Films : un reboot (un remake) de Hellboy par Neil Marshall (2018), un Expendables 4, un Day of the dead par Hèctor Hernández Vicens (2018), remake du Jour des morts-vivants de Romero…






[1] On doit aux réalisateurs Julien Maury et Alexandre Bustillo les films remarqués A l’intérieur avec Béatrice Dalle (2007) et Aux yeux des vivants (2014).
[2] La reprise des classiques du cinéma d’horreur ou d’épouvante n’est pas, à Hollywood, l’apanage des Français : on peut citer aussi le Paraguayen Fede Alvarez (Evil dead, 2013), le Grec Dennis Iliadis (La dernière maison sur la gauche, 2009), ou encore l’Italien Luca Guadagnino (Suspiria, 2018)…
[3] Voir le long entretien réalisé par Sci-universe avec les intéressés en 2011, au moment de la sortie de Livide.



Critique Cinetrafic.
http://www.cinetrafic.fr/meilleur-film-horreur-2018
http://www.cinetrafic.fr/top-film-horreur

Date de sortie DVD/BR : le 2 janvier 2018 chez chez Metropolitan.
Page Facebook de l’éditeur.

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3 commentaires à propos de “Leatherface”

  1. J’aime cette idée de producteurs consanguins et cannibales.
    Ce que tu décris là renforce encore un peu plus la puissance du film originel, qui montrait l’homme au masque de chair faisant tournoyer sa scie mécanique dans une gesticulation anarchique. Cet homme sans nom n’était alors que le petit dernier de cette famille de garçons bouchers en mal de bétail à occire et de viande à mastiquer. Il y avait en toile de fond les feux déclinants de l’été de l’amour, l’idéalisme pris au piège des ataviques appétits carnivores d’une frange délaissée de l’Amérique.
    Qu’est-ce que ce Jed au patronyme facilement pioché dans le répertoire de Twain vient faire là-dedans. Morts-nés (à l’image des images traumatisantes de l’ouverture), les texans de Massacre n’avaient alors nulle origine, et ne réclamaient aucun avenir.

    Aja, rétrospectivement ne s’en sortait pas si mal avec La colline, même si j’aime le film original dans le contexte de l’œuvre de Craven. Les autres remake (pour ce que j’en ai vu) n’ont pas de véritable intérêt. Un regret malgré tout, celui de ne pas avoir vu Bustillo et Maury s’atteler à Hellraiser, œuvre originale et intéressante mais très imparfaite formellement qui méritait bien un remake.

  2. Je crois bien à propos des Sawyer que, si leur nom n’est pas donné dans le film d’origine (?), il l’est au moins dans le scénario. Sinon, en réfléchissant un peu à ce patronyme, il convient plutôt bien. Il est à la fois une évocation rurale, ancestrale et… criminelle (si j’en crois le wiki, en anglais, le mot sawyer signifie « bûcheron » et vient du verbe… to saw, « scier » ; question outillage, on n’est pas loin de « tronçonner »).

    Et concernant La colline à des yeux, le film d’Aja fait même office de « modèle » de bon remake et… d’exception (ce statut particulier du film d’Aja est aussi évoqué par Maury et Bustillo dans le bonus dvd).

  3. Je me considère comme étranger à la mythologie Massacre à la Tronçonneuse pour ne pas avoir vu le film séminal de Tobe Hooper mais découvert son remake ainsi que sa préquelle, réalisés respectivement par Marcus Nispel et Jonathan Liebesman. Deux films qui, sans être renversants, disposaient de solides arguments (notamment la présence au générique du génial R. Lee Ermey).
    Cette énième étape dans l’exploration de l’arborescence généalogique de cette famille de dégénérés semble en revanche en avoir très peu. Il serait donc peut-être temps pour les producteurs d’arrêter les frais.

    Et bien vu la consanguinité artistique en vogue dans l’industrie hollywoodienne 😉

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