Le masque d’or (The mask of Fu Manchu)

Charles Vidor, Charles Brabin, 1932 (États-Unis)




LE MASQUE d’OR
OU
L’EXOTIQUE REPRÉSENTATION DE L’AUTRE


Ce sont les débuts de l’âge d’or du fantastique. Boris Karloff sort du Frankenstein de Whale (1931). Cette fois c’est la MGM qui tente de s’emparer du genre. Karloff aussitôt réembauché est grimé en Fu Manchu, génie du mal du début du XXe siècle. La créature du Britannique Sax Rohmer est un héros*… à la manière des personnages de foire, en fait réduit à une attraction exotique capable de donner le grand frisson. Car des Orientaux et de leurs superstitions, on se raille volontiers. Pourtant ce rire se crispe bien vite dès qu’il s’agit du soulèvement des mêmes, les Orientaux, contre le reste du monde (c’est-à-dire de l’avis des Blancs contre le seul monde qui compte, les puissances coloniales).


« Hommes d’Asie, les éclairs de Gengis Khan foudroient les Blancs.
Partez en guerre, tuez les Blancs et prenez leurs femmes »


La première figure qui sert à symboliser cette force terrible venue de l’Est, est donc celle de Gengis Khan, le sanguinaire barbare d’Orient. En effet, soucieux de piller les richesses de partout ailleurs pour enrichir les collections du fameux et si supérieur British Museum, des archéologues, d’intrépides Britanniques, se rendent dans le Désert de Gobi où a été localisée la tombe de Gengis Khan. Dressé devant eux pour les en empêcher, Fu Manchu. Cette autre grande figure asiatique est, apprend-on, trois fois docteurs (en philosophie, droit et médecine), diplômé d’Édimbourg, du Christ’s College et d’Harvard ; ce qui signifie formé dans les centres intellectuels occidentaux. Les pays colonisateurs auraient donc forgé leur propre monstre. Fu Manchu, donc, champion de la cause orientale, n’aspire qu’à remettre la main sur les reliques « nationales », à accroître son pouvoir, à détruire l’Anglais et (tant qu’à faire) à lui prendre ses femmes. Pour l’appuyer dans sa noble ambition, des serviteurs aux yeux bridés d’abord (toujours prêts à attaquer, le couteau entre les dents**), ainsi qu’une petite foule de Noirs musclés et en culotte. Des Jaunes sauvages aux esclaves noirs, on se fait une idée de l’inégalité des races (toujours selon les Blancs) durant les années 1930.

Aux côtés de Fu Manchu également, sa fille chérie (difficile de passer outre) : la sadique Fah Lo See (Myrna Loy) qui, les yeux mi-clos, apporte à l’ensemble une touche indispensable de mystère oriental. Question décors (originaux et plutôt soignés), l’imagerie fantastique se compose d’un laboratoire de cornues et de récipients fumants, de crocodiles et d’araignées, d’instruments de chirurgie et de potions magiques. Par ailleurs, quel cruel de renom n’a pas sa propre salle de torture ? Celle agrémentée par Fu Manchu et sa fille n’aurait certainement pas déplu à un amateur comme Vincent Price (le supplice de la cloche, le bruit qui rend fou !).

Dans le film, pas de jaloux, les Asiatiques finiront tous brûlés par la foudre des colons dominants. Cela ne devait pas suffire aux producteurs, alors la dernière scène rappelle l’infériorité (et de manière assez infâme) des uns par rapport aux autres. Ainsi, après la défaite de Fu Manchu, un pauvre domestique attire l’attention du vieux Britannique en annonçant que le dîner est servi. Ce dernier, pince-sans-rire, lui demande s’il est par hasard docteur en philosophie, en droit et médecine. Le domestique répond trois fois non… avec un sourire de benêt révélant une horrible dentition, noire et abîmée. Voilà l’Occidental rassuré.

Charles Vidor qui débute à la réalisation est ici assez loin, on l’aura compris, de La reine de Broadway (1944). Charles Brabin, quant à lui, réalise en 1932 avec Richard Boleslawski Raspoutine et l’Impératrice et trouve le moyen, dans un tout autre contexte, de reparler des très vénéneux mystères asiatiques. En dépit de son racisme, Le masque d’or est resté une référence du fantastique des années 1930 ; ce qui s’explique à la fois par le succès que le film a connu à sa sortie, mais également par ses efforts (décor et ambiance) pour se démarquer du gothique des monstres gothiques de 1931, Dracula et Frankenstein. Enfin, il n’est pas rare que l’on remarque ce que Le masque d’or a pu léguer (archéologie, mystère et reptiles) au héros de Spielberg dans Les aventuriers de l’Arche perdue (1981) et davantage encore dans Le temple maudit (1984).





* Aventures plusieurs fois adaptées au cinéma, comme The face of Fu Manchu de Don Sharp avec Christopher Lee (1965).
** Le couteau entre les dents est la reprise d’un motif apparu semble-t-il durant la Première Guerre mondiale. C’est l’illustrateur Adrien Barrière qui l’utilise, tantôt pour évoquer la sauvagerie des tirailleurs sénégalais (le « Sénégalais nettoyeur » tel qu’il est représenté dans son Album des poilus), tantôt pour faire peur avec la menace bolchevique (image de 1919). Barrière, ce qui pour notre propos n’est pas inintéressant à préciser, est un ancien illustrateur du théâtre d’épouvante.

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