Le marteau des sorcières / Un marteau pour la sorcière (Kladivo na čarodějnice)

Otakar Vávra, 1969 (Tchécoslovaquie)

« Pourquoi la douleur me fera-t-elle plutôt confesser ce qui en est, qu’elle ne me forcera à dire ce qui n’est pas ? » Montaigne, Essais, chap. V (1580 dans sa première édition)

Tout commence avec une pauvre vieille et une superstition. À la table de la comtesse, une hostie administrée pour soigner une vache qui ne donnait plus de lait décide les privilégiés et les hauts dignitaires à faire venir un juge laïque pour débusquer les fidèles du Sabbat et les démonolâtres du pays. Nous sommes vers la fin du XVIIe siècle en Moravie. Le moins indulgent des magistrats est dépêché et, puisque les menottes et les brodequins facilitent en général l’adhésion des plus récalcitrants, pour ce spécialiste, la torture n’est jamais un « ultimum remedium ». De plus, chaque victime est contrainte à la délation ce qui oblige le juge tortionnaire à prolonger son séjour. Trois sorcières, six sorcières, neuf sorcières, les premiers bûchers en entraînent d’autres et, une fois mise en marche, la mécanique criminelle n’est pas prête de s’arrêter.

Question, manipulations, faux témoignages que le bourreau prépare sous la contrainte avant que les intéressés ne passent en audience : le film expose toute la tromperie de ces procès. Avec la chasse aux sorcières, le moyen est trouvé d’inculper et d’assassiner toutes celles et ceux qui dérangent. Ce sont souvent des ouailles qui n’ont pas bien fait et qui, ignorants, se sont écartés du droit chemin. Mais il arrive que les soupçons se portent également sur de mieux lotis qui se seraient risqués à trop de bienveillance à l’égard des fragiles. Ainsi, le prêtre en charge de la paroisse se met à défendre celles qui tombent sous le marteau du juge et goûte à son tour à la cruauté du tribunal. En outre, l’inquisition confisquant le bien des inculpés, la convoitise incite au plus grand zèle.

Le marteau des sorcières est produit en 1969 durant l’emprise soviétique en Tchécoslovaquie. L’année qui précède a vu l’invasion du territoire par l’Armée Rouge et l’entrée des chars russes dans la capitale. Les procès en sorcellerie pourraient faire écho aux purges et aux méthodes du régime : les persécutions, la torture, les impasses syllogistiques devant les tribunaux… Celles-là mêmes qui étaient directement dénoncées dans L’aveu de Costa-Gavras (1970). Le réalisateur, qui avait pu continuer de travailler quand son territoire était sous le joug nazi, avait pourtant adhéré au Parti communiste dès la fin de la guerre. Par ailleurs, Vávra trouble la parabole avec une ambiance quasi fantastique. Le début insiste par exemple sur les femmes tentatrices et ces plans renvoient à leur manière à l’iconographie obscurantiste de Häxan de Benjamin Christensen (1922). Cadré en gros plan et entrecoupant le récit de ses interventions, un narrateur encapuchonné vient également nous inquiéter de sa description détaillée du sabbat.

Le texte du Malleus Maleficarum (Le Marteau des sorcières) des Dominicains Institoris et Sprenger sert de référence aux inquisiteurs depuis 1486. Il donne son titre au film et apparaît au cours d’une scène. Un énorme volume nous est présenté. Il fait toute la fierté du juge qui le montre volontiers à son interlocuteur. Ce dernier le prend d’ailleurs pour la Bible et c’est tout comme en effet tant le livre semble avoir de l’importance. En vérité, les premières éditions du Malleus Maleficarum (il en existe une trentaine en latin parues de 1486 à 1669) font 250 feuillets environ, rien d’aussi gros que l’ouvrage ici sorti. Néanmoins, comme l’a précisé Carmen Rob-Santer*, l’édition de 1669 était plus épaisse car différents traités de démonologie avaient été ajoutés au texte d’Institoris et Sprenger (ceux de Bernard Basin, Bartolomeo de Spina, Ulrich Molitoris…). L’édition de 1669 n’excède pas 500 pages et reste très en deçà du très généreux format du volume exposé dans le film. Ceci dit, il n’avait pas tort le réalisateur. Le « marteau », qui pouvait bien être considérée comme une arme, doit être visible et peser : un livre comme un bloc de marbre, lourd, noir, à placer aux côtés des autres instruments indispensables à la question.

* Carmen Rob-Santer, « Le Malleus Maleficarum à la lumière de l’historiographie : un Kulturkampf ? »Médiévales, 44 | printemps 2003, mis en ligne le 03 novembre 2010, consulté le 20 novembre 2021. 

RSS
Follow by Email
Twitter
Visit Us

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*