Le Chevalier Vert (The Green Knight)

David Lowery, 2021 (États-Unis)

Sir Gawain and the Green Knight est un roman versifié du XIVe siècle attribué à l’auteur du poème Pearl et conservé dans un unique manuscrit (le Cotton Nero MS A x de la British Library). L’adaptation de Lowery n’est pas la première. Stephen Weeks avait été assez attaché au roman médiéval pour en faire deux films, Gawain and the Green Knight en 1973 et L’Épée du vaillant en 1984 avec Sean Connery et Peter Cushing. Cependant, ni ces versions, ni aucune autre, me semble-t-il, n’a vraiment marqué. Hervé Dumont signale quand même un téléfilm britannique de 1991 plus fidèle au poème et qu’il estime être une des meilleures adaptations du texte original*.

David Lowery se plaît beaucoup avec ce que le récit comporte de signes occultes mais se débarrasse de toute la dimension chrétienne du texte original. Les personnages ne prient pas, ne mentionnent pas Dieu et si le roi porte une couronne auréolée, c’est surtout décoratif. Ses liens avec la religion n’en sont pas davantage évoqués. Plus précisément, si la sorcellerie est mise en avant (les discrets envoûteurs et différents objets, ceintures et pendentifs), tout ce qui rappelle le christianisme est brûlé (la scène introductive avec le seigneur sur son trône) ou brisé (l’icône d’une Vierge à l’enfant est cassée par un maraudeur). La chapelle verte est le théâtre le plus significatif de cette déchristianisation : le lieu n’est qu’une ruine et n’est plus qu’un décor pour le dernier tour de ce chevalier aux allures d’Ent (les créatures sylvestres de Tolkien). L’introduction du film et d’autres passages sont traités avec les codes du film d’horreur, le surgissement du phénomène surnaturel et une voix d’outre-tombe sont censées perdre le personnage principal et éventuellement créer l’épouvante. Parmi les clichés, l’épisode de la Sainte Winifred reprend sans surprise l’histoire du fantôme qui a perdu sa tête. La martyre est une revenante dans une vieille maison au fond des bois. La rencontre a lieu la nuit, la fille porte une longue robe blanche, les arbres sont squelettiques et la brume épaisse s’élève avec mystère.

L’aventure de Gauvain pourrait être héroïque. Elle ne l’est pas. L’auteur du roman lui-même assurait au chevalier d’Arthur l’échec de son entreprise. Lowery humilie Gauvain un peu plus et s’arrange avec la fin de l’histoire. Bizarrement, c’est comme si le film proposait deux fins. L’une imaginée et malheureuse sur laquelle le fil du récit revient pour mieux conclure ensuite et offrir une surprise au spectateur : Gauvain apprend de ses erreurs, retire la ceinture verte avec laquelle il croyait se protéger et prouve sa véritable valeur en osant affronter la mort sans artifice. Cette décision lui assure seule la « victoire ». Dans le roman, Gauvain est moqué d’avoir eu peur de mourir. Dans le film, il n’en est rien. Gauvain est trompé, détroussé, il cède à la tentation de la chair et dans cette même scène est ridiculisé par la dame… Lowery l’humilie à chaque étape de son aventure. Il ne va cependant pas tout à fait jusqu’au bout car il lui assure à la fin de déjouer le piège du chevalier Vert. La ruse de Gauvain est bien réelle dans le poème ; un renard lui est d’ailleurs associé. Mais Lowery insiste et rend son personnage in fine plus astucieux que dans le poème médiéval. Ce qui dérange en fait ce sont ces deux idées très mal associées : personnage humilié deux heures durant mais finalement victorieux.

Le thème principal est celui de la tentation. Il s’agit de vérifier que Gauvain est un chevalier irréprochable, respectant à la lettre les codes et les valeurs de son rang. Gauvain est mis à l’épreuve par Morgane, sa mère dans le film (qui remplace Morgause) et sa propre femme, Essel, une prostituée. Quand, au cours de son périple, il est recueilli par un seigneur, il est séduit par l’épouse de ce dernier (le seigneur Bertilak dans le roman qui n’est pas nommé dans le film). Or, l’idée est intéressante, cette tentatrice est jouée par la même actrice qui interprète sa compagne Essel (Alicia Vikander). L’homme est le jouet des femmes qui éprouvent sa fidélité. Le grelot qu’Essel lui a donné en gage, pour le rappeler à elle, n’y fait rien et Gauvain cède à la chair. La rencontre avec le fantôme de Winifred joue sur le même thème de la femme violentée, jusqu’au féminicide la concernant. Le film faisant écho à notre époque, du thème de la tentation, on glisse à celui des torts faits aux femmes (Dev Patel, Sarita Choudhury… le casting cosmopolite est un autre écho au temps présent). On regrette alors que cette lecture féministe du roman, qui est reconnue et discutée par des spécialistes de littérature médiévale, ne s’achève pas plus en accord avec son sujet. Gauvain est un être médiocre mais remporte le défi du chevalier Vert. N’est-ce pas finalement dénaturer le propos ? Dans le texte du XIVe, Gauvain est moqué par le chevalier Vert et il rentre à Camelot en ayant été jusqu’au bout abusé. Ici, le héros est rattrapé in extremis. Comme si Lowery avait craint une fin plus sombre, alors que c’est pourtant bien le ton du film.

Je n’ai jamais vraiment suivi l’écuyer Gauvain dans son défi relevé. À cause du ton adopté et de cette fin curieuse et peu cohérente, le film m’a laissé distant. Par ailleurs, j’ai bien conscience que cette nouvelle adaptation attache plus d’importance à l’évocation de notre temps qu’à celle d’un plausible XIVe siècle, mais comme souvent de nombreux éléments dans les décors et les choix artistiques nous éloignent trop de l’époque décrite pour convaincre : un château et des décors néo-gothiques, une garde-robe féminine qui aurait sied à une princesse de Star Wars, la chambre noire et un portrait photographique auxquels je ne suis pas sûr de vouloir croire… De même, Lowery a le défaut d’enregistrer des poses. Il se soucie davantage de l’esthétique de ses plans que du reste. Or, la beauté des images ne fait pas le renouveau des situations et ne suffit en rien au plaisir du spectateur. Avec ou sans héros, le film est singulier, difficile de lui retirer cela, mais sans jamais être vraiment plaisant.

* H. Dumont, Les chevaliers de la Table Ronde à l’écran, un mythe à l’épreuve du temps, Cinémathèque Suisse, éd. Guy Trédaniel, Lausanne, Paris, 2018, chap. « Gauvain et le Chevalier Vert », p. 195-203.

5 commentaires à propos de “Le Chevalier Vert (The Green Knight)”

  1. Ta lame critique vient de fendre l’armure de ce Gauvain plutôt bien accueilli par ailleurs pour son approche singulière.
    Bien moins avisé que toi sur le respect du texte, je reste sur ma curiosité initiale et tenterai de le voir si par hasard je croise la route du « Chevalier Vert ».

    • Il est certain que le film est très soigné. Son originalité, l’aventure du chevalier solitaire, est en partie due au roman d’origine. Je n’ai rien lu des intentions de Lowery, il me faudrait trouver un entretien ou deux, mais je ne suis pas sûr que le film, pour bien accueilli qu’il fût, ait été très bien compris. Les critiques trouvées mettent seulement en avant la forme, le côté presque spirituel de la quête, ou bien s’intéressent au parcours et à l’énigme, assez peu au fond finalement.

  2. Belle chronique… pour un film que j’aimerais voir. Je suis désolé de ne pas en avoir l’occasion dans une salle de cinéma.

    Lowery est un réalisateur assez atypique, malgré tout, non ? De lui, je n’ai vu que Peter et Elliott le dragon et A ghost story, deux films fort différents l’un de l’autre, malgré une esthétique et un sens de l’imaginaire qui pourraient (légèrement) les rapprocher.

  3. Atypique peut-être oui. J’ai vu A Ghost Story (2017) et pourrais tenter de tracer des liens, le fantastique de toute évidence, mais je ne saurais dire s’il y a une vraie réflexion de fond à sa démarche. A Ghost Story m’a demandé un certain effort et aujourd’hui le film me laisse indécis. En lisant sur ton blog l’avis laissé, je me rappelle vaguement de la manière dont le film questionnait la trace du disparu… Le rapport au temps avait son intérêt. Mais le film m’échappe en grande partie, il me faudrait le revoir. Il me semble que Lowery n’opte pas toujours pour les meilleurs choix en terme d’imagerie dans ses histoires.

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