Le bouton de nacre

Patricio Guzmán, 2015 (Chili, France, Espagne)

Le film de Patricio Guzmán est d’une beauté absolue. Parce que ses images d’eaux, de glace, d’averse ou de neiges soufflées par les vents sur les hauteurs andines sont surprenantes et admirables. Parce qu’il fait le lien entre les Indiens Selk’nam de jadis et les Chiliens d’aujourd’hui. Parce qu’il rêve au cosmos tout en racontant l’histoire des hommes. Le bouton de nacre emprunte ainsi plusieurs voies, se partage en de nombreux ruisseaux et plus petits cours d’eau. Il circule entre les terres suivant un littoral long de 4200 km puis se divise en centaines de canaux pour embrasser chaque île, chaque rocher du plus grand archipel de la planète. Patricio Guzmán tente de tracer les contours du Chili et, ce qu’il fait depuis ses débuts et La bataille du Chili (1972-1979), nous le fait mieux connaître. Nostalgie de la lumière en 2010 s’intéressait particulièrement à l’extrême Nord du pays (le désert d’Atacama), Le bouton de nacre se concentre sur le Sud.

Le film généreux convie l’artiste plasticienne pour donner à voir une représentation continue et unie du territoire (Emma Malig), interroge le poète pour approcher les mystères des indigènes disparus (Raúl Zurita), invite l’historien pour évoquer la complexité de ces peuples et de leur culture (Gabriel Salazar), expose encore les visages ridés en noir et blanc de leurs tout derniers descendants (Paz Errázuriz). Le cinéaste, sans jamais cesser d’être cinéaste, se fait également astronome, géographe, ethnologue… Au cours du voyage, on écoute l’histoire de Jemmy Button, jeune indigène qui, près du canal de Beagle, vers 1830, est embarqué avec d’autres contre un bouton de nacre et ramené en Angleterre et à jamais déraciné. Dans la dernière partie du film, toujours suspendu entre l’océan et l’espace, le récit se porte sur d’autres disparus, ceux des opposants que le dictature Pinochet a fait disparaître, lestés avec de lourds morceaux de rails et jetés d’hélicoptère au large du Pacifique. Le bouton de nacre dont il est question est un objet insignifiant : un jeton contre lequel se joue une vie, ou celui incrusté sur un rail qui a passé trente ans sous l’eau et qui laisse malgré tout une trace, celle d’une des nombreuses victimes de Pinochet. « L’activité de la pensée ressemble à de l’eau, qui peut s’adapter à tout ». Concevoir l’immensité de l’espace et rêver à ses mystères, imaginer une planète refuge pour que les Indiens de Patagonie soient sauvés des massacres passés, se plier à une dictature, lui survivre et en transmettre la mémoire.

Billet publié sur le site de La Géothèque en avril 2016.

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