Knight of cups

Terrence Malick, 2015 (États-Unis)

Depuis The tree of life (2011), chaque film de Terrence Malick est une coupe à boire jusqu’à la lie pour s’oublier, plonger dans le rêve et espérer trouver la perle. Le chevalier parti s’égare, traverse de nombreuses épreuves, croise reines, vouivres ou simples courtisanes, toute la vanité du monde partout exposée à Los Angeles. De Venice Beach au jardin japonais, de la US Bank Tower à ces villas aux allures de temples païens, des studios de la Warner dans lesquels on erre longtemps à Long Beach et son aquarium géant. Durant la fête organisée dans une colossale demeure aux intérieurs très meringués, chez l’Ermite (Antonio Banderas) auprès de qui Rick (Christian Bale) cherche peut-être à tirer un enseignement, on aperçoit dans la foule de convives Ryan O’Neal, Barry Lindon en personne (Kubrick, 1976) ou le romancier Bruce Wagner dont Maps to the stars avait été adapté (Cronenberg, 2014)* : tout Hollywood folâtrant de sa superbe et toujours sur le point de défaillir. Là, le chevalier cavale, s’enivre et éparpille sa vie : en désaccord avec le frère, en conflit avec le père, attaché à une reine de jadis (Cate Blanchett dans un segment intitulé « le Jugement » et l’on se demande bien qui est cet homme pour avoir quitté une telle femme) et bientôt aux pieds d’une autre qui certainement lui laissera un fils (Natalie Portman). Rick le scénariste ne sait quelle compagne choisir. Après la Lune (Imogen Poots), il tente encore d’approcher un Soleil (Freida Pinto) qui le laisse finalement à bonne distance (dans le segment de « la Tour » au sommet de laquelle, il ne parvient pas à s’élever). Une autre séductrice (Teresa Palmer) l’entraîne plus loin : Papesse qui le replonge dans une fureur de vices et d’illusions, Las Vegas après L.A., un rêve après un rêve, le stupre avant la Mort. « On croit que lorsqu’on arrive à un certain âge les choses vont commencer à avoir du sens. » L’épreuve du temps : même si les vies décrites y sont plus simples moins opulentes, on pense ici volontiers à Boyhood (Linklater, 2014), à l’adolescent ainsi qu’à l’un et l’autre de ses parents. Souvent dans un moment d’ivresse, toutes ces femmes, Rick les ramène sur une plage. Comme si le lieu, point de rencontre entre la terre, l’air, l’eau et le feu, servait de creuset où le couple est mis à l’essai, l’expérience nécessaire pour s’assurer de la possibilité d’une fusion. En dernière instance, suivant les cartes de tarot distribuées tout au long du chemin, la Liberté retrouvée ouvre à Rick de nouvelles perspectives : tout assembler, recomposer et se retrouver enfin. La perle dont on avait oublié la quête.

Par la renaissance de ses personnages, il nous semble que Terrence Malick dans ses derniers films, The tree of life, A la Merveille (2013) et celui-ci à présent, travaille l’idée d’une élévation par la répétition. Le chevalier scénariste chute plusieurs fois, hésite longtemps et se compromet à nouveau avant de revoir la lumière. L’aspect répétitif s’entend d’ailleurs dans un des principaux thèmes musicaux du film, Exodus de Wojciech Kilar (le compositeur du Dracula de Coppola). En référence au Boléro de Ravel, Kilar s’appuie sur « une rythmique autour de laquelle s’enroule un thème sans cesse répété »*. En outre, les films de Malick foisonnent de correspondances, des répétitions autant que des variations (de lieux, de formes, de symboles), à la fois au sein même de leur structure et entre eux. C’est pourquoi, par ses histoires, mais aussi par sa mise en scène et par la science de son montage, Terrence Malick donne l’impression de former des boucles liées entre elles et prenant à chaque fois un peu plus de hauteur. Et à chaque tour la possibilité d’une résurrection.






* D’après le commentaire de Nicolas Rioult dans le livret de l’édition dvd chez Metropolitan (2016).

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2 commentaires à propos de “Knight of cups”

  1. Je n’ai pas vu ce dernier film de Malick (un peu échaudé par son précédent), mais je trouve tout à fait bien vu ton idée « d’élévation par la répétition », ou de « boucles liées entre elles et prenant à chaque fois un peu plus de hauteur ».

    C’est une espèce d’énigme chez Malick, cette sorte d’insistance jusque dans la mise en scène, de plans semblables alignés et filmant la même chose deux, trois, quatre fois… Parfois, on a l’impression d’une impuissance (incapable d’incarner une sensation, ou une émotion, il faut la surligner), parfois on y sent une logique de montage nouvelle, complètement autre, dont il faudrait apprendre l’alphabet du début.

    Ton article (que j’ai un peu survolé par peur du spoiler) donne en tout cas envie de voir le film, dont j’attendais peu !

  2. Je ne savais pas pour les invités d’honneur lors de la garden party chez Banderas. Voilà qui donne un plus encore de densité cinéphile à ce Malick envoûtant. La matière de ses films est de plus en plus inspirée de la pureté des origines, et faire appel à Kilar pour mettre le tout en symphonie entêtante n’est évidemment pas le fruit du hasard. Son film est une incantation ésotérique, une sorte de mantra qui nous ramène à cette fameuse définition de la célébrité et du succès : c’est tomber sept fois, se relever huit.

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