Juste la fin du monde

Xavier Dolan, 2016 (Canada, France)


« DANS MA MAISON,
DANS MA MAISON,
C’EST LÀ QUE J’AI PEUR »


LA PEUR DU TEMPS ACCORDÉ
Xavier Dolan ouvre son film sur une oreille, celle d’un homme assis, une silhouette entre deux rideaux dans un aéroport. L’homme voyage et rentre chez lui après « une douzaine d’années d’absence ». Sur le trajet, en taxi, les cadres sont resserrés sur le visage de Louis (Gaspard Ulliel). Sur un panneau dehors : « Envie de parler ? ». Des regards furtifs mais captés avec attention, happés, ceux des citadins croisés, affairés à leur quotidien. Des squelettes s’embrassent sur un mur, deux ballons rouges au loin s’envolent, les nuages de fumée d’une usine se répandent et grossissent dans l’air. Louis rentre chez lui et a une quantité de raisons pour cela. Il vient annoncer qu’il va mourir. Il vient donner de son temps à sa famille. Il vient se sentir maître de sa personne jusqu’au bout. En tout cas c’est ce qu’il dit.



PLUS TARD PEUT-ÊTRE
Mais si le film s’ouvre sur une oreille, c’est que Louis qui veut tant dire est vite condamné à seulement écouter. Le seuil de la porte d’entrée franchi, les cadres sont pleins, sans profondeur, sa sœur et sa belle-sœur devant l’entrée empêchant la lumière de rentrer, la mère avec le sèche-cheveux sur son vernis bleu lance des petits cris d’exclamation qui la font passer pour une hystérique ou une folle, l’image est floue parfois, sombre souvent, gênée au premier plan. Les échanges entre les personnages se superposent, les sujets se chevauchent. Dans ce tableau rempli, Louis reste silencieux. La caméra est en légère contre-plongée collée aux visages pris individuellement. Tous sont écrasés, coincés dans l’image. Encore : des dos, des contre-jours, la nuque de l’un, le cou d’une autre, les tatouages de roses grosses et gonflées, des regards perdus, des reproches nombreux, des soupirs, le ton monte, le temps passe, l’impossibilité de parler totale. Sans volume, sans espace, la table contre le canapé et le fauteuil, les fenêtres voilées ou les stores à moitié relevés, la chambre filmée comme s’il s’agissait d’un sous-sol, les couloirs étroits et les portes entrouvertes, la remise… Louis à l’écoute est empêché de parler par sa famille d’ogres. Le foyer les étouffe tous.



LA PEUR DU SILENCE
Les acteurs que réunit Xavier Dolan autour de lui offrent une outrance et une excellence mariées. On repère la sympathie délicate de Catherine (Marion Cotillard) et de Louis que leurs regards échangés intensifient. On finit par être touché par les hésitations et les maladresses de Catherine. Antoine (Vincent Cassel, impressionnant et sublime) est lui dans l’opposition, saisi tantôt dos aux autres face aux rideaux fermés, tantôt explosant de colère agacé par les sentiments de son frère. Suzanne (Léa Seydoux) déborde de furies et de douleurs qu’elle tente de dissoudre dans la drogue. Martine, la mère (Nathalie Baye), sature les scènes de ses exubérances. Les dialogues et les jeux sont en parfaite adéquation. Le texte, que l’on imagine très fidèle à la pièce de Jean-Luc Lagarce dont le film est adapté, est des plus affûté. Les mots dans la bouche des personnages sont repris, corrigés, les registres de langue refusés ou moqués par les uns ou les autres, et le tout nourrit aussi bien l’incompréhension que l’incommunicabilité.



LE TEMPS QUI RESTE
Juste la fin du monde, le sixième film de Xavier Dolan (après Laurence anyways, 2012, Tom à la ferme, 2012, Mommy, 2014) illustre une nouvelle fois la façon dont son réalisateur envisage le cinéma. Intensité des jeux, densité de la mise en scène, étude aiguisée des costumes et des références iconographiques délivrées et disséminées (naïves ou plus raffinées), force de la musique utilisée qu’elle que soit sa qualité propre (tube planétaire comme Dragosta Din Tei du groupe roumain O-Zone, musique plus subtile comme Home de Camille diffusé dès la première scène, ou carrément pointu, Une miss s’immisce, face B electro-pop, reprise de Françoise Hardy par Exotica). Rien n’est négligé. Le cinéma de Dolan est lyrique, criard, pénétrant, baroque et enlevé. X. Dolan n’envisage son cinéma qu’absolument.

Une réponse à “Juste la fin du monde”

  1. Excellente analyse d’un film qui m’a laissé de marbre, tout tétanisé que j’étais par l’exubérance de la mise en scène et le jeu des acteurs. Une première incursion dans le cinéma de Dolan qui ne m’a pas invité à y pénétrer plus profondément.

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