Je veux voir

Joana Hadjithomas, Khalil Joreige, 2008 (France)




Catherine Deneuve attend dans un hôtel de Beyrouth une autorisation pour traverser le pays et se rendre à la frontière qui sépare le Liban et Israël. « Je veux voir », dit-elle. La phrase dans sa bouche sonne presque faux. Durant 1h 15, le film oscille entre la simple vérité qui émane des paysages défilant et les scènes écrites pour Catherine Deneuve et Rabih Mroué, tous deux acteurs dans leur propre rôle. Le projet a pour dessein d’introduire du cinéma sur ces lieux broyés par la guerre ; une caméra, une équipe technique, une actrice de renommée internationale un peu malmenée et un acteur libanais pour lui montrer le pays et ses blessures. A nouveau la frontière est franchie. A nouveau, fiction et documentaire s’interpénètrent, comme si l’une devait gagner en vérité (Cloverfield, Matt Reeves, 2008, [Rec], Paco Plaza et Jaume Balagueró, 2007) et l’autre se voiler derrière un semblant de facticité (Valse avec Bachir, Ari Folman, 2008).

Dès que les deux comédiens se rencontrent au pied de l’hôtel, ils s’engouffrent dans une voiture et se dirigent vers les quartiers sud de Beyrouth qui gardent les stigmates des conflits armés : blocs de béton troués de toute part par les impacts des balles, immeubles éventrés, jadis des lieux de vie. Les réalisateurs font marcher Mme Deneuve et son compagnon de visite quelques mètres le long de ces cicatrices urbaines, mais ils sont arrêtés dans leur travelling. On leur interdit de filmer. Qui ? Pourquoi ? Milices chiites ? Sympathisants du Hezbollah ? Rien n’est dit. Personne n’est montré. Les deux acteurs reprennent leur véhicule et quittent la capitale.

Dans la voiture, les deux acteurs discutent (mœurs locales, évocation de Belle de jour de Buñuel en arabe…) mais ménagent aussi de longs silences. Rabih Mroué entraîne la célébrité dans les décombres du village de sa grand-mère qui a été rasé. L’endroit lui était si familier. Des débris. Atterré, il ne reconnaît plus rien. Ils remontent tous deux en voiture et, après avoir évité une route minée, poursuivent vers le sud, en pleine campagne, entourés par les friches et la végétation méditerranéenne. Un grand boum ! Affolée, Catherine Deneuve s’accroche à sa ceinture de sécurité. Rabih la rassure : simplement un avion militaire en reconnaissance qui franchit le mur du son. Leur parcours les amène ensuite en bord de mer et s’ouvre là un plan-séquence magistral : encore des tonnes de gravats et des montagnes de débris remuées dans la poussière par des bras mécaniques. La bande son entretient une tension forte. Ces témoignages des destructions passées portent en eux regrets et pessimisme. Bien qu’ancrés dans la réalité, ils évoquent aussi les apocalyptiques no man’s land qui apparaissent dans les différents Terminator (James Cameron, 1984 et 1991), film de science-fiction par excellence.

« Juillet 2006. Une guerre éclate au Liban. Une nouvelle guerre mais pas une de plus, une guerre qui vient briser les espoirs de paix et l’élan de notre génération. Nous ne savons plus quoi écrire, quelles histoires raconter, quelles images montrer. Nous nous demandons « Que peut le cinéma ? ». »*

Ce parcours à travers le Liban sinistré jusqu’à la frontière israélienne garde en lui quelque étrangeté. Jamais pédagogique, faiblement politique, les réalisateurs délaissent par moment le récit d’une « aventure » vécue par une icône du septième art et se rapproche de l’expérience sensorielle. Assez comparable au Goût de la cerise (Abbas Kiarostami, 1997) dans sa capacité à sublimer des sites désolés, Je veux voir interroge sur la puissance suggestive de ces ruines (un cadavre en plein soleil ? Ou l’état d’un Liban en perpétuelle reconstruction ?), sur l’insécurité constante de tels territoires, ainsi que sur une forme cinématographique originale et appropriée.





* Premières lignes du synopsis.


Le titre « Je veux voir » est un écho à la réplique entendue dans Hiroshima mon amour (Alain Resnais, 1959). Sur cette référence, voir l’article consacré au film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige sur le site du Ciné-club de Caen.

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