Iranien

Mehran Tamadon, 2014 (France, Suisse)

Iranien de Mehran Tamadon est le résultat d’une tentative de dialogue entre un Iranien laïque occidentalisé et des fondamentalistes apparemment ouvert à la discussion. Un échange difficile, captivant, au cœur de l’islam.

Mehran Tamadon est iranien. Il vit en France, la plupart du temps, mais revient en Iran, de temps en temps. Il n’est pas considéré comme un Iranien par ses compatriotes. C’est un Français, un Iranien trop francisé, car il prône la laïcité et la liberté d’expression. Les mollahs l’accusent d’être un dictateur qui se camoufle derrière le fier étendard de la démocratie. Mais qui est vraiment le dictateur : celui qui veut interdire le port du voile à l’école, ou le partisan de l’islam, qui veut imposer le voile à l’école ? Voici que s’amorce le débat, qui est l’essence même, le moteur, du documentaire.

Cinq individus vivent ensemble durant deux jours : quatre partisans de la République islamique et Mehran Tamadon, l’athée, qui les reçoit cordialement chez lui. Cette cohabitation, pacifique mais périlleuse, il a cherché à la rendre possible pendant deux ans. Deux ans pour réunir cinq individus… A croire que la liberté d’expression est morte en Iran depuis plus de trente ans. Là où la censure ne s’applique pas, l’autocensure prend le pas. Car très peu acceptent de participer au documentaire. Pourtant, à les voir, assis en cercle fermé, parler ouvertement de leur religion, entrer dans un débat, il devient évident qu’ils avaient bien des choses à se dire.

Iranien est une sorte de télé-réalité, où les candidats ne sont pas choisis pour leur plastique ou leur originalité, mais en fonction de leur idéologie et façon de penser. Les acteurs sont filmés dans leur quotidien durant 48 heures. Ils parlent du beau temps et de la pollution, ils font leur prière et même cuisinent. Mehran Tamadon n’insiste pas sur les scènes de vie du quotidien, mais s’attarde plus volontiers sur les échanges avec ses quatre colocataires temporaires. Iranien se métamorphose en un débat courtois mais sans concession. Tous sont animés d’une énergie farouche. Leur but : chercher une brèche dans les convictions de leurs contradicteurs. Nous sommes plongés au cœur d’une discussion qui tourne aussitôt en guerre d’idées. La laïcité y est mise en défaut, l’islam aussi.

Car avant tout Iranien est un film profondément égalitariste, qui sonne l’alarme et pointe du doigt le statut inférieur de la femme en Iran. Pourquoi la femme doit-elle être voilée ? Pourquoi n’a-t-elle pas le droit de chanter ? Ni même de parler, d’exprimer ses opinions ? Il est dit que l’homme serait faible face à la tentation, facilement « distrait » dans ses relations sociales hors mariage. La femme, qui a le tort de ne pas être née asexuée, doit donc disparaître de l’espace public, du moins s’y faire la plus discrète possible. Au travers d’un débat religieux, abordant les thèmes de la mort et l’au-delà, la politique, la culture et la sexualité, le réalisateur lance un appel au respect des femmes, à une dignité qu’il leur faut retrouver.

Iranien mérite-t-il d’être présenté en soirée d’ouverture d’un festival de cinéma ? Pas si l’on s’en tient aux critères esthétiques et sonores, car le film est dénué de telles préoccupations. Mais il a bien d’autres atouts : celui d’étonner, d’inviter à la réflexion et à la prise de position. Face à la montée en puissance de partis islamiques dans le monde arabe, l’Iran représente le meilleur exemple de ce que peut être une république islamique autoritaire. Or, mieux comprendre l’idéologie qui s’impose dans de tels Etats permettra d’être mieux paré pour cette semaine de projection. C’est donc l’introduction parfaite à la thématique du « Cortège des printemps » mais aussi aux rencontres culturelles proposées par le Festival. Affranchi d’un regard occidental caricatural, ce long-métrage passionnant offre de mieux saisir le mode de pensée des mollahs, capables d’humour sur eux-mêmes, et faisant preuve d’un certain degré d’humanité.

Bénédicte Le Coz, pour la 36e édition du Festival des 3 Continents.

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