Glass [approche géographique]

M. Night Shyamalan, 2019 (États-Unis)

LES SUPER-HÉROS DE LA PÉRIPHÉRIE (GLASS, APPROCHE GÉOGRAPHIQUE) 

Glass, nous a marqué pour bien des raisons. M. Night Shyamalan clôt une trilogie commencée vingt ans plus tôt avec Incassable (2000), puis Split (2017), en faisant une nouvelle fois démonstration de sa grande maîtrise tant du point de vue de la narration que de la mise en scène. De plus, en poursuivant dans le genre des super-héros, dont il a contribué au succès et devenu depuis aussi populaire pour Hollywood que le western d’avant guerre, Shyamalan fait le portrait de personnages très singuliers qu’il déplace sur ses propres territoires thématiques et, ce qui nous intéresse ici tout particulièrement, sur des territoires géographiques assez inattendus.

Dans Glass, la superbe perspective qui s’ouvre depuis l’hôpital psychiatrique confronte directement le centre et sa périphérie, le downtown de Philadelphie au loin avec son bouquet de tours modernes et, peut-être à quelques kilomètres (en fait le tournage s’est fait à l’hôpital d’Allentown, plus au Nord de Philadelphie), les bâtiments anciens où est isolée davantage que soignée une poignée de personnes jugées indésirables.

Quand la scène d’affrontement final réunit tous les opposants, Shyamalan laisse de la place à une étreinte entre Casey et la Bête. Pour éviter toute surenchère de violence, la jeune fille tente de calmer le monstre et cherche à retrouver (entre autres personnalités cachées dans le même corps avec la Bête) celle avec laquelle elle s’est davantage liée. On sait très bien à cet endroit que Mr. Glass comme Shyamalan nous ont trompés et que jamais le film ne se finira sur l’apothéose annoncée, ni devant la tour inaugurée, ni même dans l’hyper-centre de la métropole. Quand les deux personnages se serrent l’un l’autre dans les bras devant l’hôpital, la tour Osaka est d’ailleurs laissée à l’arrière-plan. Par cette image avec la skyline de Philadelphie en décor, le réalisateur signifie bien sa volonté de rester avec les marginaux décrits (Elijah, David, Kevin, Casey…), à savoir à la périphérie, comme s’il adoptait directement par l’espace occupé leur propre point de vue. En outre, cet espace périphérique réservé aux individus « brisés » (et néanmoins êtres en tout point extraordinaires) est facilement identifiable avec « le véritable monde » dont parle Elijah Price et celui dont nous parle le réalisateur, un monde où les blessures sont réelles, où les crises politiques ou financières ont un impact sur les populations.

A l’opposé, se trouve le centre, lointain, presque inaccessible, voire irréel. Le plan sur la skyline a été pris depuis un des deux parcs du Faimount Park de Philadelphie. On sait d’après une ligne de dialogue que c’est dans les centres urbains qu’œuvre principalement la « société au trèfle », cette classe dominante qui possède un certain pouvoir pour ne pas dire qu’ils le détiennent carrément. Mais, dans le cœur de la métropole, il faut surtout revenir à la tour Osaka qui s’élève désormais parmi les tours du CBD et qui fait toute l’actualité dans le film (journaux télévisés et unes de magazines). Ce gratte-ciel est un bijou de modernité, respectueux de l’environnement (avec son impressionnante façade de panneaux solaires pivotant) et le plus haut de la métropole (il dépasserait 350 mètres et paraît s’élever bien plus haut encore). La tour Osaka est qualifiée par Price de « real marvel ». Elle est à ce point merveilleuse qu’elle est même… tout à fait fictive. En effet, le plus haut gratte-ciel de Philadelphie reste encore, et c’est assez récent, le Comcast Technology Center (avec 340 mètres de haut environ). Cependant cela n’étonne pas que Shyamalan imagine une nouvelle tour pour le plan fictif du mastermind Glass. Le tout est parfaitement cohérent, d’autant que the marvel en question est à double sens.

Comment ne pas entendre en effet dans la réplique une référence à la firme Marvel et à toute sa clique de super-héros montés sur blockbusters. Car Glass produit par la maison Blumhouse est bien à la marge de ce que fait Marvel, tout comme le terrain d’action du dénouement dans le film se trouve à la périphérie de la métropole. D’une part, jamais le film ne cherche à se livrer à une surenchère d’effets (depuis The visit en 2015 on pourrait croire le réalisateur lui-même en thérapie chez Blumhouse). D’autre part, jamais il ne fait des super-héros son seul centre d’intérêt. Le super-héroïsme est une vue de l’esprit et toute une frange de la population délaissée par les pouvoirs publics, rarement valorisée, pourrait gagner confiance à se considérer comme super-héroïque. C’est en partie l’idée défendue par Elijah Price. Alors que Marvel érige des tours (la tour Stark devenue tour des Avengers avant que le QG ne soit délocalisé) pour mieux les détruire et ainsi répéter un traumatisme qui jamais ne semble vouloir s’atténuer (le 11 septembre 2001), Shyamalan reste à l’écart et livre un divertissement qui rappelle aussi à sa façon les disparités sociales et territoriales américaines.

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2 commentaires à propos de “Glass [approche géographique]”

  1. Bonjour Benjamin, je partage ta belle analyse et c’est un des intérêts du film en effet que de marquer un territoire, de se situer géographiquement dans la ville et d’autoriser une interprétation allégorique dépassant le cadre a priori « super-héroïque » du scénario.

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