The ghost writer

Roman Polanski, 2010 (France, Royaume-Uni)






L’INTRODUCTION DU MORT
Un à un, les véhicules débarquent et le ferry se vide. Une voiture ne démarre pas. Elle est la dernière à bord et le vide autour d’elle est d’autant plus grand que l’on assiste à la scène de différents angles. Le souffle de la clarinette basse lance le thème, rythmé et mystérieux comme l’intrigue qui se déroule. Les couleurs bleues grises de la plage s’estompent dans la mer et le ciel. Sur le rivage, les eaux rejettent un corps : le conducteur qui manquait à la voiture. Dans la troisième scène, le réalisateur lie le cadavre avec son principal personnage, l’écrivain déjà fantôme (Ewan McGregor) qu’un bureau d’éditeurs emploie pour écrire les mémoires d’Adam Lang, premier ministre britannique bientôt à l’agonie (Pierce Brosnan). La nuit, la pluie, les instruments à vent et les jeux de mot, tout annonce l’esprit par lequel le spectateur avec régal s’apprête à suivre l’histoire.

LA POLITIQUE DE L’OCCULTE
A l’instar de Ford et de Depp, McGregor mène l’enquête. L’objet qui recèle le secret à révéler n’est pas un souvenir de la statue de la liberté (Frantic, 1988). Bien qu’il s’agisse effectivement d’un texte, ce n’est pas non plus une version jusque-là ignorée du De umbrarum regni novem portis (La neuvième porte, 1998). Tous les indices pointent en revanche la première version des mémoires de Lang rédigée par le précédant ghost (le corps du début trempé jusqu’au cou). Roman Polanski exprime à nouveau son goût pour les énigmes et l’espace politique, parsemé de coins d’ombre, se prête idéalement à leur développement. L’écrivain fantôme explore donc les arcanes du pouvoir et, pour ne pas devenir écrivain fantoche, cherche à éclairer le passé des manipulateurs qui l’entourent.


L’OMBRE D’HITCHCOCK
Avant le film, le maître anglais est cité en référence par Robert Harris*, l’auteur du roman et du scénario dont il est tiré (L’homme de l’ombre, 2007). Polanski reprend la technique hitchcockienne et la mêle à sa propre fantaisie. Le spectateur est mis dans la confidence (sur le ferry vient le danger ; ce à quoi la séquence d’ouverture nous conditionne) puis, au moment opportun, accompagne l’enquêteur McGregor sur le parcours inquiétant que lui dicte la voix rassurante d’un GPS. Suspense admirable, séquence magistrale.


DU VIDE, L’ANGOISSE
Le QG américain du premier ministre britannique est une villa moderne isolée sur une île au large de Boston (comparable demeure dans La jeune fille et la mort, 1994, enfermement insulaire propice à la tergiversation d’un esprit dans Shutter Island, Scorsese, 2010). Glaciale par ses lignes, sa décoration la rend tout aussi accueillante qu’un musée d’art contemporain. Hautement sécurisée, elle n’en est pas moins un lieu de réflexion et d’anxiété. Le plaisir n’y a pas sa place (les sandwichs du solitaire !). Ni confidence, ni amour, tout n’est que manœuvre en cet endroit (la femme et la maîtresse, la brune et la blonde, Olivia Mortimer et Kimm Cattrall). Ne se limitant pas à ses volumes, la villa offre par ailleurs de larges baies vitrées qui donnent sur les dunes et l’horizon, autrement dit sur le vide. Le vide inquiète et, du ferry à la brouette, le vide partout s’installe. Si celui créé par le vent soufflant sur les feuilles mortes dans la brouette amuse car un domestique en Sisyphe s’acharne à la tâche, celui qui s’installe au dernier plan effraie (terrible hors champ !). Dans la rue, d’autres feuilles volent, les mémoires de Lang avec la clef de l’énigme. Personne pour les ramasser.

Roman Polanski œuvre par dépouillement, dans le contenu des plans et dans l’action. Même l’humain disparaît**, effacé par la politique et ses secrets. Lang est éliminé. Les écrivains qui travaillent sur ses mémoires sont balayés. Le ghost est soufflé.





* Robert Harris qui a été un temps proche de Blair, autre fantôme du film. Voir à ce sujet la critique du New Yorker par David Denby, le 8 mars 2010.
** Lang n’est-il pas lui-même, quoiqu’indirectement, à l’origine de pratiques barbares ?





[Il y avait] sur le site consacré à Polanski et édité par Cadrage (consulté la dernière fois en mars 2011), entre autres analyses, un texte sur Ghost writer d’Alexandre Tylski (Université Toulouse II). A noter aussi le dossier « Polanski, l’inquiétante étrangeté » dans le n°600 de Positif, fév. 2011.

5 commentaires à propos de “The ghost writer”

  1. D’accord avec ton article même s’il faudrait que je revoie le film pour pleinement l’apprécier.
    Il y a une chose qui ne cesse de me surprendre (j’admets que c’est un peu obsessionnel chez moi mais Polanski connaît tout de même très bien son histoire du cinéma) : n’est-il pas étonnant que l’ex-Premier ministre se nomme Lang dans un film qui se place aussi clairement sous les auspices d’Hitchcock ?

  2. Regarde si Lang n’est pas déjà le nom du personnage dans le livre d’Harris ; quoique cela n’exclue pas, si c’est le cas, que l’homonymie avec Fritz n’ait pas séduit Polanski.

  3. Bonjour, je n’en crois pas mes yeux quand je lis que Wilyrah trouve cela « mou du genou », ce film absolument haletant sans temps mort. Mon film de l’année 2010.

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