Furie (The fury)

Brian De Palma, 1978 (États-Unis)

Pour accompagner cette Furie-ci, au petit emballement initial à découvrir un De Palma que j’ignorais, a rapidement succédé un mol engouement. La maestria du réalisateur m’a bien sorti de la torpeur un moment, et tout ébloui par l’éclat d’un flash-back psycho-dramatique projeté dans une mise en scène de-palmo-hitchcockienne ahurissante, je me rappelle m’être fait la remarque suivante, « Ça y est ! Ça commence enfin ! ». Cependant, alors que le film se poursuivait et que la folle rotation de caméra qui avait soudain permis à Amy Irving de voir ce qui était arrivé à Andrew Stevens n’était plus pour moi qu’un éclair dans la nuit, il fallait que je me rende à l’évidence, Furie allait me laisser blaser. En dépit d’un manège hors de contrôle dans une fête foraine, de la fille-toupie repeignant très involontairement les murs de son sang, des extraordinaires pouvoirs télékinétiques en action, les genres empruntés (espionnage, thriller, fantastique…), les pistes de l’intrigue, les personnages eux-mêmes se perdent dans une histoire relâchée où tous les enjeux politiques et sentimentaux se dissolvent.

Peter, la figure du père qu’incarne Kirk Douglas est là, prisonnière d’un drôle d’espace-temps. Qu’il s’agisse d’un littoral proche-oriental ou d’une rue de métropole américaine, derrière un rocher ou déguisé en vieillard, il est très vite reconnu, pointé du doigt et rejetté. Il perd un ami (John Cassavetes), une amante (Carrie Snodgress) et, depuis le début, son fils (Andrew Stevens) qui lui a été enlevé. Gillian (Amy Irving) aidée de Hester (Carrie Snodgress) doit fuir l’institut Paragon (chargé d’étudier les pouvoirs psychiques de ses patients). Dans cette scène d’évasion, Brian De Palma étire le temps. Kirk Douglas se précipite vers la jeune fille mais reste spectateur de la scène, incapable de pouvoir agir sur les événements : le coureur derrière lui, la voiture qui surgit et qui ne peut être évitée, la mort d’Hester. Les ralentis impriment la rétine et la scène reste à l’esprit. Douglas crie, tend la main, se fige. Le réalisateur emmène son personnage ailleurs (Douglas et Irving achèvent leur fuite et partent en voiture), mais l’espace clos du film et son temps irréel l’enferment et le privent de tout. Malheureusement, ce passage, qui nous rappelle d’autres moments de tragédie au ralenti dans la filmographie de De Palma, me paraît imparfait, à la fois dans son propre équilibre à cause de la durée des plans (du montage) et pour ce qu’il raconte, le personnage d’Hester éliminé car devenu inutile.

Dans sa critique de Furie (Zoom Arrière, n°1 consacré à De Palma en 2019), Christophe relève toute la médiocrité d’une scène de petit déjeuner entre deux femmes parce que le cinéaste ne s’y intéresse pas ou ne sait pas les filmer. Mais il y a aussi ce gag, digne des Nuls, où deux gardes s’ennuient avec leurs talkies-walkies et finissent par se faire réprimander par un troisième bonhomme :

« – Big Boss deux à Big Boss un. Il te reste du café ?
– Oui, Big Boss deux. Affirmatif… Une tasse de café tiède…
– Tu veux négocier Big Boss un ? J’ai du chocolat à échanger.
– Big Boss deux, bien reçu. Avec ou sans noisettes ?
– Connard un et connard deux, arrêtez d’encombrer la fréquence. »

Le déguisement de Kirk Douglas, avec un coussin dans le pantalon et une chemise qu’il ne parvient pas à fermer, est également assez ridicule. C’est pourquoi, avec de pareilles scènes, on dirait que Brian De Palma sabote son propre film.

Christophe, pour en revenir à sa critique, relève aussi dans Furie « une inclination mélancolique » qui le revalorise. Dans ce même premier numéro de Zoom Arrière, Jocelyn Manchec note le lien que Furie entretient avec Sœurs de sang (1972) et Carrie (1976, film plus cohérent), ainsi que tout l’intérêt que ce film revêt pour exposer en quelque sorte l’univers de De Palma. Enfin, le troisième texte de la revue sur Furie, signé Vincent Roussel, amène d’autres pistes, autobiographique (lue aussi dans Les mille yeux de Brian De Palma de Luc Lagier, Dark Star, 2003) et réflexive, cette dernière permise notamment par les pouvoirs télékinétiques en œuvre et donc le déplacement des points de vue. Objet intellectuel davantage qu’une source de réel divertissement, Furie déçoit et passionne, une œuvre restée furieuse… en puissance seulement.

3 commentaires à propos de “Furie (The fury)”

  1. Film que j’ai vu dans ma jeunesse et qui m’avait marqué, débutant comme un thriller d’espionnage et finissant en apothéose sanglante et télékinésique. C’était peut-être le premier De Palma que je voyais, je ne connaissais ni Carrie, ni Sisters. Le revoir aujourd’hui serait sans doute assez douloureux au vu des avis de Zoom Arrière et de ta chronique. Mais cela reste un De Palma, et à ce titre, il tient sa place dans une oeuvre qui retrouvera par la suite un furieux regain d’intérêt hors du champ paranormal.

    • Je suis moins tendre que mes camarades de Zoom Arrière sur le film. Les points négatifs ne sont pas légions dans leurs propres critiques, assez justes et équilibrées d’ailleurs. J’exprime surtout ma déception. Mais il est certain que si Carrie avait été pour moi encore une inconnue et que les cercles de Blow out ne m’avaient pas déjà fait vriller, les effusions de sang en mode giratoire et tout ce qui précède m’auraient davantage fait impression.

  2. Lointain souvenir télévisuel qui ne m’avait pas marqué malgré la scène quand même impressionnante de l’explosion de Cassavetes. J’aimerais assez le revoir. Les critiques de nos amis, on pourrait en trouver aussi dans plusieurs autres films de De Palma qui a toujours jonglé avec le mauvais goût, sans pour autant plomber trop ses films.
    Très drôle cet échange de vigiles.

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