Eo

Jerzy Skolimowski, 2022 (Pologne, Italie)

À 80 ans passés, Jerzy Skolimowski fait un état du monde et en donne le reflet dans l’œil d’un animal aux vies multiples. L’âne dont il est question n’est jamais libre et tombe sur les humains partout où ses pattes le conduisent. Diagonale autoroutière suivie depuis la Pologne jusqu’en Italie, sur cette route, tout n’est que folie : les loups traqués et abattus dans une forêt de contes en périphérie, les bœufs bousculés jusqu’à l’abattoir, les chevaux que l’on s’apprête à transformer en salami… En compagnie des humains, l’animal n’est jamais tout à fait serein. Quand ils ne sont pas tués, les animaux sont exploités (spectacle de cirque, travail agricole…) ou, pire, récupérés par cet espèce de capitalisme narcissique : c’est un autre cheval en décor dans un photo shoot pour magazine de mode. Jerzy Skolimowski s’arrête donc sur le sauvage en cage et condamné par une violence humaine absolument débridée.

« Au hasard Balthazar, c’est notre agitation, nos passions, en face d’une créature vivante qui est toute humilité, toute sainteté et qui, en l’occurrence, est un âne : Balthazar », Robert Bresson (1966)

Inspiré par Bresson, Skolimowski fait un constat tout à fait pessimiste : plus de cinquante ans après Au hasard Balthazar, rien n’a vraiment changé dans les rapports entre humains et animaux. Peut-être même ont-ils empiré. Ainsi, les humains entraînent le monde dans leur chute et l’animal avec.

Eo (« Hi-han » en français), est un film plutôt inégal. Les liens entre l’âne et les humains sont parfois obscurs. Des bouts de récit perdent même l’âne de vue et sont dans le film comme des scories dont on se serait passé volontiers. Si le segment avec le prêtre et Isabelle Huppert paraît aussi surfait qu’une publicité pour produit de luxe, la relation entre l’âne et la fille de cirque intéresse davantage. Malheureusement, Skolimowski entraîne sa bête vers d’autres caresses. De la même manière, les phases plus expérimentales qui imaginent adopter le point de vue animal (la nuit en forêt, la colline à gravir, le ciel d’Apocalypse) concentrent mieux que n’importe quel fil narratif une force cinématographique, c’est-à-dire une capacité à nous saisir, presque à nous envoûter. Cependant le réalisateur n’en fait pas non plus la forme privilégiée de Eo. Entamé, repris, à nouveau interrompu, le trip sensoriel ne nous enlève donc pas totalement. Le film a toutefois ses éclats et ces scènes hallucinées, qui se figent dans nos souvenirs, dégagent une noire véhémence qu’il est facile de partager.

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Une réponse à “Eo”

  1. Ne ferais-tu pas ta tête de mule devant ce film aux qualités pourtant nombreuses.
    Blague à part, et même si j’en suis sorti sans doute bien plus enthousiaste que toi, je dois reconnaître que certaines parties m’échappent un peu (notamment ce segment avec Huppert). Cette œuvre généreuse signée Sokolovski, riche en échappées visuelles, mérite quand même le détour à mon sens, ne serait-ce que, comme tu l’as brillamment évoqué, en tant que revisite des thématiques bressoniennes.

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