Deadpool

Tim Miller, 2016 (États-Unis, Canada)

En dehors du film lui-même, qui témoignerait de la dégénérescence retrouvée du super-héros au cinéma, ils sont deux à avoir le cancer dans Deadpool. D’abord le personnage de Wade Wilson qui, malade et condamné, accepte d’accueillir les pouvoirs d’un mutant et, pour devenir Deadpool, quoique sur ce point ses mystérieux bienfaiteurs n’aient pas été totalement clairs, de subir mille supplices et deux trois ignominies. Ensuite, il y a Hugh Jackman. L’acteur n’est pas vraiment dans le film mais son visage apparaît en couverture de People magazine que Wilson fourre dans son sac à flingues (« The sexiest man of the year » peut-on lire ou une accroche équivalente). Avec deux trous et un élastique, Deadpool s’en fait un masque. Ce que nous dit cette facétie, c’est que le cancer a un visage, Jackman. Triste mascarade. Deapool hait Wolverine, qui lui fait d’ailleurs quelques misères dans un précédent navet (X-Men : l’affrontement final, Ratner, 2006). Cette haine, les scénaristes tout contents de leur mise en abyme, la font déborder sur les acteurs qui jouent les deux super-héros revêches, Ryan Reynolds et Hugh Jackman. Or, Jackman, ce qui n’est jamais dit dans le film mais alimente à l’occasion les colonnes des revues racoleuses, est véritablement malade d’un cancer. Ce n’est plus l’humour noir qui dérange (une des intentions des studios en adaptant Deadpool à l’écran), mais le mauvais goût poussé à l’extrême…

Le vrai problème du film, c’est que Deadpool ne rompt jamais réellement avec les conventions (ce que prétendent faire les studios) et ne se dissimule plus que sous un flot d’impertinences formelles, formelles seulement. Ainsi, la logorrhée du super-héros mélange outrancièrement les champs lexicaux liés au sexe et à l’appareil digestif pour inventer une nouvelle forme de ponctuation orale, répétée, incontrôlée, envahissante, insupportable. De même, à l’écran, un ou deux plans se rapprochent dangereusement des muscles fessiers de l’acteur (Ryan Reynolds également désigné par People « The sexiest man of the year ») et, dans l’action, Deadpool bafoue sans honte les qualités habituelles du héros, noblesse, justice, clémence… une sorte d’anti-Captain America ou d’anti-Thor en somme. La forme est donc impertinente, elle n’empêche pas à Deadpool d’être consternant.

Car, pour le reste, les scénaristes ne font preuve d’aucune inventivité et reprennent la trame habituelle, présentation du gars, ses ennuis, sa transformation, l’origine de son nom et l’évolution de son costume… Pire une histoire d’amour en laquelle tout le monde croit, même les violons, vient se greffer au scénario pour justifier les agissements de l’infâme. Dès lors, son objectif premier : se refaire une beauté (le cancer et les expériences qu’il a subies lui ayant fait une gueule d’écorché) pour reconquérir Vanessa (Morena Baccarin, future super-héroïne, la mutante Copycat) et finalement à la dulcinée de conclure sur l’importance de la beauté intérieure… Ça valait la peine d’endurer une heure et demi d’insanités.

A présent, le mal est fait. La nouveauté n’est pas tout à fait d’opposer aux super-héros aseptisés, Avengers (Whedon, 2012), X-Men (Singer, 2013) ou Ant-Man (Reed, 2015), un personnage moins recommandable (pensons justement à ceux de cette engeance qui sortent en 2016, Batman dans le Vs Superman de Snyder, ou la Suicide Squad de David Ayer). Elle n’est pas non plus seulement dans la décontraction intensive de l’ambiance (Les gardiens de la galaxie, Gunn, 2014). Noircir le ton, forcer sur la violence physique et morale, va ici de pair avec la décérébration d’un récit porté par la mise en abyme d’un rien.

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Une réponse à “Deadpool”

  1. « La forme est donc impertinente, elle n’empêche pas à Deadpool d’être consternant.  » ce que j’aime relire cette phrase.

    ps : j’ignorais pour Jackman. ça ajoute un grief de plus à cette tumeur cinématographique.

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