La comtesse

Julie Delpy, 2009 (France, Allemagne)

Julie Delpy se faisait déjà un jus de cœur broyé avec un mixeur dans Le loup-garou de Paris (Anthony Waller, 1997). Pour son deuxième long métrage en tant que réalisatrice (et scénariste et productrice et compositrice), sans toucher à la blancheur de son teint, elle se fait comtesse sanglante.

Repliée dans les ombres du château de Csejthe, Erzsébet Bathory, puissante contemporaine de l’empereur Rodolphe II, se livra avec ses serviteurs dévoués à des crimes qui peut-être n’ont d’égal que les horreurs du sire de Rais en Bretagne [1]. Julie Delpy s’empare de cette lugubre histoire et fait d’une passion pour un plus jeune seigneur (Istvan Thurzo interprété par Daniel Brühl) la raison première à ses folies meurtrières. À ses côtés (les personnages de Miawa et Dorko sont oubliés), la rousse Darvulia la conseille tout en partageant sa couche (Anamaria Marinca [2]). Elle sait concevoir remèdes et onguents et a la réputation de pouvoir fabriquer de l’or (un laboratoire et des cornues…).

Erzsébet Bathory, qui refusait de vieillir et cherchait à effacer les imperfections de sa peau, récupérait le sang de vierges et se débarrassait de leurs corps. Julie Delpy s’accommode à la légende. Pas de bain de sang mais un mouchoir trempé de rouge appliqué sur son visage enlaidi et un miroir lui faisant peau douce. Outre le parallèle qui pourrait être fait entre la représentation qu’a donné Stocker du voïvode roumain Vlad Tepes (mort en 1476) et celle de la comtesse hongroise (morte en 1614), l’image du vampire transparaît en deux endroits sur la pellicule de Delpy. Lors d’un montage alterné montrant le lent dépérissement d’une jeune servante à qui le sang est volé et l’usage qui en est fait par Erzsébet se croyant alors rajeunir. Loin de préoccupation cosmétique, l’avant-dernier plan voit la comtesse emmurée se mordant le poignet pour en déchirer les veines.

L’actrice et réalisatrice maintient son récit dans le domaine du fantastique (Thurzo, qui est le narrateur, a-t-il été abusé par ces histoires de dépravation morale et de sorcières ?). La condamnation d’Erzsébet ne relève-t-elle que de basses manipulations ayant eu des fins pécuniaires et politiques (hypothèse déjà formulée en 2008 par le Slovaque Juraj Jakubisko dans Bathory) ? Ce sont des motifs qui émanent sans peine des agissements de Gyorgy Thurzo (William Hurt) et du masochiste Dominic (Sebastian Blomberg), véritables loups dépeçant leur proie [3].

En dépit d’un manque évident de moyens (la quasi absence de plans larges, la répétition des plans en contre-plongée d’un château restauré -voir les différences de toitures-), Julie Delpy a le mérite de mettre en scène, avec modestie et dans une froide photographie, un personnage trouble [4] en proie aux arcanes d’un pouvoir que les hommes encore se réservent.

[1] V. Penrose, Erzsébet Bathory, la comtesse sanglante, Paris, Mercure de France, 1962 (rééd. Gallimard, 2004). Cette biographie romancée a longtemps été le seul ouvrage en français entièrement consacré à la comtesse.
[2] Révélée en 2007 dans le douloureux 4 mois, 3 semaines, 2 jours de Cristian Mungiu et aperçue la même année dans L’homme sans âge de Coppola.
[3] Une comparaison est encore permise avec Gilles de Rais qui dilapidait sa fortune au grand dam de sa famille. Ses parents avaient en effet convenu de rédiger un mémoire qui fut présenté au roi pour dénoncer la folie de Gilles et empêcher la totale disparition de leur patrimoine. La sorcellerie et les invocations de démons dans ces procès auraient aussi servi de prétextes… J. Heers, Gilles de Rais, Paris, Perrin, 2005, p. 17.
[4] Personnage enfin sorti de pâles productions érotiques, comme La comtesse Dracula de Peter Sasdy en 1971.

Note parue sur le site Kinok en décembre 2010.

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Une réponse à “La comtesse”

  1. Très très bon film. Mes craintes de voir une énième production française austère à cause du manque de moyens (ce genre de film d’époque aux costumes vus et revus éclairés à la simple lueur d’une bougie et aux dialogues interminables…) se sont vite dissipées. Même s’il est vrai que les moyens ne sont pas énormes, cela ne nuit pas au bon déroulement du film qui joue plus sur les ambiances et le jeu des acteurs. J’ai trouvé l’ensemble filmé avec une infinie délicatesse, les regards amoureux lors de la danse des futurs amants, leurs caresses et leurs effleurements… Avec un doux fond sonore tout aussi délicat, le film est vraiment tourné avec beaucoup de subtilité. Les images, de véritables tableaux animés, est également superbe. Julie Delpy en glaciale Comtesse Bathory est sublime, Daniel Brühl (vu dans Inglourious basterds) et son visage d’ange également mais aussi William Hurt qui enchaîne décidément de très bons films ces derniers temps (il a d’ailleurs un peu la même tête que dans le Robin des bois de Ridley Scott). Les dialogues (tout comme les parties narratives en voix off) sont également d’une grande qualité avec parfois des passages en rimes très poétiques. Quelques scènes sanguinolentes, forcément, mais pas de voyeurisme déplacé de ce côté-là et là encore un soucis esthétique évident (les corps des jeunes filles disséminés dans la forêt faisant le bonheur des loups). Une belle réussite à laquelle je n’ai trouvé aucune fausse note.

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