Chili 1976

Manuella Martelli, 2023 (Chili, Argentine)

Quelques films nous donnent déjà une idée sur les méthodes employées par le gouvernement d’Augusto Pinochet au Chili depuis son coup d’État de 1973 jusqu’en 1990, date à laquelle il quitte la présidence de la République. Ainsi, le cinéma de Patricio Guzmán est remarquablement revenu sur le sujet dans la trilogie « de la terre mère » : Nostalgia de la luz (2010), El botón de nácar (2015), La cordillera de los sueños (2019).

Dans son premier film, Manuella Martelli revient quant à elle sur une seule année, 1976, qui a été considérée comme une des plus répressives de la dictature militaire chilienne. Mais les corps des disparus, des opposants au régime restitués par l’océan, sont à peine évoqués. La jeune réalisatrice laisse un corps nu à distance de la caméra et du regard des enfants qui avec leur grand-mère sont poussés un peu plus loin sur une autre plage pour aller jouer. Le cadavre en plan d’ensemble est à peine aperçu mais très suffisant pour prendre conscience de la menace qui pèse sur la société d’alors. Chili 1976 est une fiction qui puise dans les non-dits de l’histoire familiale de la réalisatrice et s’inspire pour son personnage principal de la grand-mère maternelle. Il raconte l’entrée en résistance d’une bourgeoise, Carmen (Aline Küppenheim), qui avant de venir en aide à un révolutionnaire blessé, s’occupait surtout de ses petits-enfants ainsi que de la rénovation de sa maison secondaire en bord d’océan. Contestation impossible sous peine d’arrestation et de torture, couvre-feux, propagande télévisée et méfiance à l’égard de tous et parfois des plus proches, le film rappelle sans jamais quitter son personnage et sans didactisme aucun ce qu’était le Chili de Pinochet pour les classes moyennes et supérieures.

Sur le plan technique, Manuella Martelli affiche au moins deux réussites, la maîtrise du hors-champs (la première scène en exemple) et celle de la bande son (composée par la musicienne expérimentale Mariá Portugal) qui, de manière combinée, parviennent à créer une tension quasi permanente. Au fur et à mesure que l’on progresse dans le récit, que Carmen affirme sa position de résistante, la mise en scène restitue l’état de stress et d’inquiétude dans lequel cette femme du quotidien se retrouve. Carmen agit d’abord par charité chrétienne puisque c’est un prêtre qu’elle connaît qui lui demande de prêter secours au jeune blessé par balle. Mais pas à pas, action après action, sans héroïsme ou prise de risque inconsidérée, Carmen s’inscrit silencieusement dans un refus du régime. C’est cet engagement discret qui fait aussi la valeur de ce premier long.

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