Charulata

Satyajit Ray, 1964 (Inde)




Œuvre majeure de Satyajit Ray, « Charu », comme la surnomme son riche mari, dresse le portrait d’une héroïne. Madhabi Mukherjee porte en ses traits tout le charme de l’Inde et dans ses yeux tout l’esprit des écrivains occidentaux. Une leçon de séduction qui prend la littérature pour prétexte.

Des mains brodent avec délicatesse un tissu. Ce sont celles de Charulata, jeune bourgeoise de Calcutta qui brode ce mouchoir et le vide de ses journées. Son mari, Bhupati, la confine dans une prison dorée pendant qu’il édite avec ardeur son hebdomadaire politique, comme un enfant jouerait avec son petit train. Face à la solitude de sa princesse bengalie, il décide de convier son cousin Amal afin d’accompagner Charulata dans ses prémisses littéraires. Une opposition permanente sous-tend le récit. Le naissance des sentiments entre Charulata et Amal, dans le dos de Bhupati, alimente cette dichotomie qui vacille entre retenue et baisade. Charulata bovaryse à l’indienne, avec pourtant un époux bien moins falot que chez Flaubert. Un mari ancré dans une veine politicienne et militante face à une femme habitée par la littérature et la musique.

BALLADE SUR UNE MÉLOPÉE
Le travail sonore est magistral, du grincement de la corde de la balançoire à la musique entêtante qui comble la solitude de Charulata. Tel un leitmotiv, la chanson lancinante de Kishore Kumar, revient aux lèvres de Charu et Amal, envoûtés. Tous ces effets sonores composent la ballade de leur amour inassouvi et mènent au jardin, hors du pesant huis-clos. La balançoire oscille comme le cœur de Charulata ; on retrouve là une touche de Renoir et comme un lointain écho de sa Partie de campagne. Cette analogie assumée surfe sur « La Nouvelle vague » de Godard et Truffaut, que le cinéaste revendique explicitement.


POLITIQUE DE L’AUTEUR
Satyajit Ray est un auteur qui cisèle l’image cinématographique, bien qu’usant d’une mise en scène théâtrale proche de la tragédie grecque ; avec des larmes exacerbées, des corps effondrés et des yeux écarquillés. Le noir et blanc y apparaît comme chamarré. Et de prompts mouvements de caméra témoignent d’une forte vitalité dans le passage d’une échelle de plan à une autre et contraste avec certains plans-séquences apaisés. Par le truchement de l’objectif, Satyajit Ray offre sa vision du monde extérieur. À travers les jumelles de Charulata, le cinéaste contemple la vie. Et lorsque le prime kaléidoscopique surgit à l’image, c’est toute l’effervescence politique et culturelle indienne du début du 20e siècle qui survient.

Satyajit Ray est résolument un réalisateur national. Ainsi s’emploie-t-il à réfuter les codes et rôles traditionnels de la société indienne coloniale en signant-là un véritable traité politique, porté par la figure du mari journaliste de Charulata et de son journal The Sentinal, flanqué d’un slogan incitatif « truth survives ». Satyajit Ray dessine dans cet opus majeur du cinéma d’auteur indien, le chemin de la vérité. De sa vérité. Un chef-d’œuvre tout en dentelles.





Klervi Drouglazet, pour Preview,
dans le cadre de la 35e édition du Festival des 3 Continents

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