Certaines femmes

Kelly Reichardt, 2016 (États-Unis)

Il est de ces femmes qui continuent à faire ce qu’il faut même si leur quotidien déchante. Laura est une avocate à qui un client prend beaucoup de temps. Lui n’attend pourtant qu’un peu de compréhension. Mais l’avocate est fatiguée par son travail et par des problèmes de couple renvoyés en dehors du récit. Dans cette vie simple et usée, Laura Dern est sublime. Ailleurs dans la campagne de Livingstone, Gina cherche à bâtir sa maison avec des pierres taillées anciennes abandonnées, pour garder une certaine authenticité. Elle s’occupe de la maison alors que sa petite famille se distend (ado dans sa bulle, reproches au mari). Michelle Williams joue une femme que l’on imagine plus dure qu’elle ne l’a été par le passé. À avoir accepter de donner des cours sur le droit scolaire deux fois par semaine si loin de chez elle, Beth quant à elle ne tient plus le rythme. Les attentions de Jamie n’y font rien, Beth, qu’interprète Kristen Stewart avec un mélange de spontanéité et de froideur, tient son amitié hors de portée. Elle se dédie au travail. Et Jamie, Lily Gladstone, qui s’occupe d’un ranch pendant l’hiver, reste seule. Un peu comme toutes finalement.

La réalisatrice donne suffisamment d’éléments pour que l’on se fasse une idée du tracas de ces femmes. Rien n’est explicite. Elle dit ce qu’elle a à dire avec discrétion, en s’appuyant sur des plans, des gestes, des répliques qui paraissent anodins, dont le spectateur d’ailleurs se saisira ou pas, mais une discrétion qui rend son cinéma très appréciable. Pour prendre un exemple, dans la première scène, Laura est au lit, en sous-vêtements, pendant qu’un homme se rhabille dans la salle de bain attenante. Le plan les place à une certaine distance. De toute façon, et malgré une caresse du bout du pied quand le bonhomme revient prêt d’elle, ils sont passés à autre chose, chacun de son côté, probablement absorbés par le reste de leur journée. Ils viennent de s’accorder un plaisir. La pause est finie. Plus tard, c’est un coup de fil interrompu qui confirme la passade et nous laisse comprendre que Laura se fait plaquer. Elle ne l’entend pas car son client déprimé est revenu et l’envahit. Le spectateur mesure la morosité de ses relations amoureuses. Elle fait avec. Un autre exemple, c’est la clope qu’allume Gina dans les bois en tenue de joggeuse. Pas d’avantage. On ne sait encore rien d’elle mais ce geste, là encore sans insistance (le plan est large, on en voit à peine la cigarette), caché à la vue de sa fille et de son mari, est lourd de sens.

Certain women fait quatre portraits de femmes aujourd’hui sur un même territoire, le Montana qui est montré beau et rude. Kelly Reichardt filme sobrement, loin des clichés. L’image de Christopher Blauvelt, le directeur de la photo, a un grain, des lumières marquées, mais rien de doux. Cela n’a pas grand chose à voir par exemple avec les paysages du Nevada trouvés dans Nomadland sous l’œil de J. J. Richards (Chloé Zhao, 2021). Reichardt ne cherche pas l’étendu des ciels et des plaines. Elle ne cherche pas non plus les couleurs du soleil. Les montagnes, les rues, les routes, comme les intérieurs, sont filmés dans leur nudité, leur réalité la plus banale. Reichardt en tire pourtant des plans très beaux.

Dans leur quotidien terni, ces quatre femmes font leur part. Mais lentement usées, elles peinent à aller vers les autres, exception faite de Jamie. Les hommes du film ne sont pas délaissés. Le client (Jarred Harris) ne demande finalement pas tant, davantage de compassion que de justice. On pourra aussi avoir de l’empathie pour le mari de Gina, dont un échange bref nous apprend d’ailleurs qu’il est son employé (James Legros). Le vieillard à qui Gina prend les pierres (Rene Auberjonois) a le regard vide d’une personne qui se sent soustraire au monde.

On aura peut-être du mal à recevoir ce film qui paraît dire si peu. Certain women est a minima. Mais sa réalisation demande une attention comme ses personnages, ses femmes en particulier. Wendy et Lucy (2008), La dernière piste (2010), ou l’excellent First cow (2020), la cinéaste est la seule que je connaisse à rendre toute la complexité et la richesse de l’humain à travers ce qui passe habituellement pour de l’insignifiant.

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