Carol

Todd Haynes, 2015 (États-Unis)

Fin 1952, les États-Unis sont une démocratie. Les Noirs subissent toujours la ségrégation raciale. La chasse aux Rouges bat son plein. Les indiscrétions des dirigeants (les mises sur écoutes de J. Edgar) sont nombreuses et illégales. L’homosexualité est considérée comme une déviance, réprimandée et sanctionnée. Douglas Sirk avait raison, le mélo est la forme d’expression la plus opportune pour l’époque : les États-Unis des années 1950 donnent envie de pleurer.

Pourtant, cette fois Todd Haynes laisse de côté Sirk, ses fleurs et ses couleurs (Loin du paradis, 2002). Les sentiments dans Carol sont moins exacerbés et le ton plus réaliste. La photographie légèrement ternie, l’étalonnage des couleurs qui tire légèrement vers le vert, le grain visible du Super 16 ne créent pas tant la distance avec l’époque décrite qu’ils ne laissent les traces de l’amertume ressentie par ces femmes qui ne peuvent s’aimer sans heurter les bonnes mœurs d’une Amérique encore très corsetée. La virée en voiture de ces dames avec escales dans les motels et revolver pointé donne aussi envie de tracer un parallèle avec Thelma et Louise de Ridley Scott (1991) pour évoquer ce réalisme et y ajouter une touche plus moderne. Néanmoins, l’histoire reprise par Phyllis Nagy (adapté d’un roman de Patricia Highsmith) n’est ni aussi romantique ni aussi radicale que dans Thelma et Louise. Piégée, Carol est très vite contrainte de faire demi-tour pour sa fillette, d’abandonner son voyage et de mettre un terme à sa liaison avec Therese. Un temps seulement. Jusqu’à renoncer à la garde de sa fille pour conserver sa liberté. Jusqu’à renoncer à la place exigée par l’ordre social. Jusqu’aux derniers plans où l’on croise ces yeux magnifiques qui d’amour nous font à nouveau frémir.

Une escapade et goûter au paradis. Pas un homme auquel obéir ou de qui dépendre, loin des conventions et des interdits… et peut-être une fois, pouvoir s’abandonner, se livrer entièrement à celle qui attire et qui fascine. Après que Carol s’est confiée à Therese, lui a dit la volonté de son mari de lui retirer la garde de sa fillette de quatre ans, elle l’invite à la rejoindre dans sa fuite, rouler vers l’Ouest et quitter un temps au moins, un temps seulement, la source de ses ennuis. Therese dit oui. Sans hésiter. A ce moment-là, elles sont sur le toit d’un immeuble, en pleine nuit, et au « oui » de Therese la neige doucement commence à tomber.

Le film se déroule ainsi entre la fin d’une année et le début de la suivante, entre la fin d’une histoire et le début d’une nouvelle, entre un divorce douloureux et le réconfort amoureux que Carol trouve avec Therese. Les deux actrices sont aussi superbes que leurs personnages. Cate Blanchett, qui incarne Carol, est une grande bourgeoise, glamour et maniérée. Son personnage de femme au foyer, capable d’embraser d’un battement de cils n’a rien à envier à celui de la femme fatale, d’une Rita Hayworth ou d’une Lauren Bacall par exemple. Rooney Mara, quant à elle, dont le visage et la silhouette rappellent en tout point Audrey Hepburn, est une indécise. Elle s’affirme timidement par la photographie et finit par travailler pour le New York Times. Les photos que l’on voit d’elle pourraient avoir été prises par Vivian Maiers. Lors de leur première rencontre, Todd Haynes sait parfaitement saisir l’attrait irrésistible mais retenu de Therese (elle est avec un bonnet de Noël coincée derrière son comptoir de petite vendeuse), puis son trouble face à Carol.

Par un long flash-back, le film fait une boucle sur lui-même : du regard gênant de cet homme qui reconnaît Therese de dos à la table d’un restaurant où les deux femmes se sont donné rendez-vous, au dernier regard échangé par ces femmes qui se retrouvent. Dans ces tous derniers plans, le champ-contrechamp exclut tout sauf l’être aimé, le regard des hommes comme celui du reste de la société dont elles vont enfin pouvoir se passer.

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