Captain Fantastic

Matt Ross, 2016 (États-Unis)

On ne sait tout d’abord pas s’il s’agit d’Indiens de La forêt d’Émeraude (Boorman, 1985) ou d’un clan organisant sa survie dans un monde post-apocalyptique, peut-être celui de La route (Hillcoat, 2009). Dissimulés dans la végétation, des enfants de tout âge sont couverts de boue séchée pour chasser le cerf au couteau. Suivant un rite de passage néo-païen, le père les suit de près et une fois l’animal égorgé, une phrase prononcée par l’adulte et une bouchée du cœur encore chaud assurent à l’aîné de devenir un homme. Ben Cash (Viggo Mortensen en parfait héros contre-modèle) élève ses six enfants dans les bois (George Mackay, Samantha Isler, Annalise Basso…), quelque part dans l’État de Washington, à l’extrémité Nord-Ouest du territoire (parce qu’en gardant à l’esprit l’idée d’une conquête de l’Ouest par la civilisation moderne, il n’y a pas plus loin aux États-Unis en dehors de l’Alaska que ce coin-là), à la marge de leurs concitoyens hyper-connectés et ultra-conditionnés, à la marge finalement d’un asservissement devenu norme sociétale et, bien sûr, qu’ils rejettent. Le père nourrit donc ses enfants de littérature et d’essais philosophiques, propose une éducation mêlant grande rigueur, bon sens et bienveillance, privilégie l’apprentissage par l’autonomie sans négliger l’organisation collective, le tout avec l’amour qu’il se doit au sein de la famille.

Cependant la réalisation de cette utopie est bousculée par l’annonce du suicide de la mère, depuis longtemps malade, depuis longtemps hospitalisée. De là, s’engage un quasi road-movie vers le Nouveau-Mexique où la mère sera inhumée. Le déplacement à bord de « Steve », c’est le nom du bus familial, est l’occasion pour les enfants d’une découverte de la société de consommation américaine. Le film oscille alors entre la bonne humeur d’un cinéma indé façon Little Miss Sunshine (Dayton et Faris, 2006) et la critique d’une société pas loin d’être considérée comme irrécupérable. Mais le scénario manque de rigueur sur ce point et déçoit de ne pas assumer davantage le radicalisme du choix de vie exposé. Au final, suite à une prise de risque inconsidérée ayant mis en danger la vie d’une de ses filles, le père se résout en effet un peu facilement à confier ses enfants au grand-père (Frank Langella), ancien de la Navy, vivant dans une villa démesurée plantée au milieu d’un golf (l’accaparement égoïste d’un « espace gaspillé et non rentabilisé »).

Plusieurs en commentant le film ont souligné la position autoritaire du père, l’influence exercée sur les siens et, seulement sur cet argument et à cause de préjugés se rapportant à son choix de vie rompant avec la société, ont comparé la petite famille à une secte ou à une autocratie à la tête de laquelle il serait, lui, confortablement installé. Le problème n’est pourtant pas là. Fait-on une démocratie avec des enfants, a fortiori s’ils sont six au sein d’une famille monoparentale ? La faiblesse du scénario en revanche provient de cette prise de conscience en laquelle on ne croit pas vraiment. Comment Ben Cash n’a-t-il pas envisagé auparavant les risques qu’il faisait courir à ses enfants en imposant de tels principes de vie ? Il les entraîne à la survie, les voit se blesser en chutant d’une falaise, leur apprend à se battre… Il ne peut pas ne jamais avoir eu peur pour leur vie avant l’accident de sa fille…

Tant pis pour l’incohérence. Matt Ross offre malgré tout des pistes de réflexion et fait surtout du rapport entre cette remise en question de la société et la marginalisation qu’elle implique un sujet fort. Dans l’utopie décrite, les enfants reçoivent une éducation dure mais complète, faisant d’eux des humanistes plein d’idéaux qui pourtant n’ont jamais connus d’autres liens sociaux que ceux de la famille. Une capacité à rendre le monde meilleur empêchée par l’isolement et le rejet de la société ? Non. Les êtres s’adaptent, même in extremis. Le film se conclue par conséquent sur la reconstitution d’un havre de paix que les enfants eux-mêmes, ne voulant pas du confort sécurisé du grand-père, ont souhaité. Nous, on retient un film sympathique à défaut d’être révolutionnaire ou même fantastique ainsi qu’une scène particulièrement forte qui, sur Sweet Child O’ Mine réapproprié, aura sacrément bousculé un moment notre sensibilité.

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