Cambodge, la dictature des Khmers rouges, 1975-1979

Adrian Maben, Rémi Lainé et Jean Reynaud, 1999-2012

Profitant de la sortie de Duch, le maître des forges de l’enfer (2012), Arte édite en avril 2012 un coffret de trois documentaires consacrés aux Khmers rouges, des années 1960 aux années 2000. Les films retracent tout un pan de l’histoire contemporaine du Cambodge, de l’ascension de Pol Pot et du mouvement politique et militaire qu’il dirige jusqu’aux procès attendus des bourreaux khmers. Deux de ces documentaires, Pol Pot et les Khmers rouges et Camarade Duch, bienvenue en enfer sont signés de l’Écossais Adrian Maben à qui l’on doit des films sur l’art et la musique (le Live at Pompei des Pink Floyd en 1972 par exemple) mais aussi plus récemment une série documentaire sur Mao Tsé-toung (Mao, une histoire chinoise, 2006).


Le plus ancien film du coffret date de 1999 et se divise en trois parties : Pol Pot et les Khmers rouges, Le mystère de Pol Pot et Crime sans châtiment. Il explique, sans omettre le contexte de Guerre Froide, ce qu’était la guerre civile menée par les Khmers rouges depuis leur jungle contre le royaume de Norodom Sihanouk soutenu par les États-Unis. Il raconte ensuite l’impressionnante révolution communiste de 1975 qui voit l’abolition de l’argent et des marchés, les déplacements des populations citadines (image de Phnom Penh désertée le 17 avril), leur installation dans des coopératives agricoles et leur soumission aux travaux forcés. Le documentaire présente également Pol Pot, le « Frère Numéro 1», qui, d’origine bourgeoise, découvre le marxisme lors de ses études en France. Les extraits de l’interview réalisé en 1997 par le journaliste américain Nate Thayer nous stupéfait. Alors qu’il a été à la tête d’un régime totalitaire, de violences de masse (purges, tortures, exécutions, génocide, plus d’1 700 000 morts sur une population totale au Cambodge de 7 millions de personnes), constitué prisonnier en 1997 et atteint de la malaria, Pol Pot répond aux questions sereinement, comme un vieillard pleinement satisfait de sa vie. La troisième partie du documentaire traite du travail de mémoire et montre les activités du Centre de documentation sur le génocide installé à Phnom Penh. Là, les chercheurs dressent la liste des camps de travail et mettent progressivement à jour les différents charniers éparpillés dans la forêt cambodgienne. Dans une lutte contre l’État cambodgien gangrené par la corruption, le Centre tente de collecter tous les renseignements possibles (archives et témoignages) en vue d’éventuels procès.


Ces reportages mêlent de façon traditionnelle les entretiens entre spécialistes et témoins (historiens et journalistes d’un côté, dirigeants, tortionnaires ou gens du peuple de l’autre). Les images sont de sources très diverses : entretiens récents, lieux d’histoire (plans tournés depuis la fin des années 1990) et archives internationales mêlées, images de propagande comprise. On reprochera le manque de clarté de certaines d’entre elles : à qui Sihanouk s’adresse-t-il et à quelle occasion quand il le fait en français ? Pourquoi y a-t-il un traducteur français lors de l’interview de Pol Pot en 1978 réalisé pour la télévision yougoslave ? Pourquoi cet interview est-il d’abord montré en noir et blanc puis en couleur dans d’autres extraits ? On regrette également l’absence de cartes pour expliquer la situation du Cambodge durant les événements décrits (guerre du Vietnam, découverte des charnier, exodes…). Malgré ces réserves, le documentaire en trois parties de Maben est une bonne introduction à l’ensemble.


Le film suivant, Comrade Duch: the bookeeper of death sous son titre original, fait le portrait du professeur de mathématiques Duch, devenu directeur de la prison S-21 de Tuol Sleng. Comme Rithy Panh avec Duch, le maître des forges de l’enfer, Adrian Maben fait son film en 2011 à l’occasion de la comparution devant les tribunaux internationaux de bourreaux khmers rouges. Il serait alors intéressant de considérer la réalisation du documentariste écossais et son impact sur le spectateur et faire une comparaison avec le film du cinéaste cambodgien.


Khmers rouges, une simple question de justice de Rémi Lainé et Jean Reynaud a aussi été tourné en 2011 et réactualise Crime sans châtiment, la dernière partie du film de Maben. Il décrit à son tour le long travail d’enquêtes qui permet de rassembler les éléments juridiques nécessaires aux procès des anciens dirigeants khmers rouges. Il reprend également l’instruction du procès de Duch et éclaire sur ses enjeux : il ne s’agit pas uniquement pour les Cambodgiens de condamner les coupables mais aussi de débarrasser la politique actuelle de toutes les personnes qui ont d’une façon ou d’une autre collaboré au sein du régime des Khmers rouges. Au-delà, ces films, de dates et d’approches différentes, comme ceux de Rithy Panh (Bophana, une tragédie cambodgienne, 1994, S21, la machine de mort Khmere Rouge, 2004, Duch, le maître des forges de l’enfer, 2011), participent à un enjeu mémoriel important, d’autant plus que, plusieurs décennies après et alors que les instructions ne sont toujours pas finies, le sujet reste brûlant.


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Une réponse à “Cambodge, la dictature des Khmers rouges, 1975-1979”

  1. Un coffret fort intéressant.

    Le dernier film de Rithy Panh est vraiment saisissant d’horreur : le calme avec lequel ce bourreau très cultivé parle de sa vie passée à S21 est glacant.

    Il faut également lire le livre L’Elimination que Rithy Panh a co-écrit avec Christophe Bataille : plus qu’un complément indispensable au documentaire, un des plus grands témoignages sur le génocide cambodgien, un des plus poignants récits de rescapé de massacre de masse.

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