Billy Elliot

Stephen Daldry, 2000 (Royaume-Uni)

Après un générique aérien sublime, à sauter haut sur le lit sur le Cosmic dancer de T. Rex, comme une évidence, Billy ne redescend pas tout de suite. Le garçon franchit une porte, se saisit d’une spatule, un demi tour de la casserole au plateau repas, un œuf trop chaud balancé d’une main à l’autre, puis un autre saut pour s’asseoir face au grille-pain et saisir au vol les deux toasts grillés projetés. Le gosse prépare le petit déjeuner pour sa grand-mère et lui mais, plein d’entrain, traverse la cuisine comme une onde électrique animant tout ce qu’il touche et se jouant de la pesanteur. Être en puissance, il n’est déjà plus seulement un gosse d’ouvrier au destin tout tracé.

Pendant quarante-cinq secondes, alors que la musique de Marc Bolan continue de tourner, l’entrée en scène de Billy Elliot, marquée par le ding du grille-pain, se fait en rythme. Un micro-travelling dans la cuisine accompagne les déplacements du futur danseur. Petits pas de course, mains agitées, objets saisis, coup de tête dans le sac suspendu, les gestes sont vifs et l’espace maîtrisé. Stephen Daldry emprunte ce moment à Un Américain à Paris (1950). En tout cas, c’est à ce film que l’on pense. Ainsi, en plus vif et plus réveillé, Billy Elliot interagit avec son environnement à la manière de Gene Kelly au début du film de Minnelli. Les lieux décrits sont semblables, des pièces étroites où tout se tient, où tout se fait, cuisine, repas, lessive… Les choses sont partout entassées et, même en hauteur, les fils qui traversent la cuisine de la famille Elliot comme l’appartement de Kelly suspendent tout le nécessaire, des poches, des habits et même un lit. Bien sûr, derrière ces décors, ce sont les classes sociales et les milieux qui transparaissent, artiste sans le sou après guerre et famille de mineurs dans les années 1980. Gene Kelly chorégraphie son réveil et Daldry celui de Billy, l’un et l’autre comme un air de Good morning entendu ailleurs, c’est-à-dire avec une dose de bonne-humeur.

Alors que le contexte seul n’incite pas à la joie, cet enthousiasme communicatif fait incontestablement la force du film. Stephen Daldry et Lee Hall, le scénariste, mêlent la comédie musicale hollywoodienne au réalisme social anglais. Ils pallient à la crise à leur façon, au risque, c’est vrai, de perdre les revendications sociales dans le ballet. On pense sans peine aux Virtuoses (Herman, 1997), aux Full Monty (Peter Cattaneo, 1997) ou même, moins musical mais tout aussi réjouissant, à The van (Frears, 1996). Billy Elliot cite Fred Astaire et Ginger Rogers, on voit un extrait du Danseur du dessus de Mark Sandrich (1936), mais Gene Kelly s’affirme comme la référence la plus convaincante. Moins aristocratique qu’Astaire, son physique plus athlétique et son style « enfant de la rue » conviennent mieux à Billy, à la rudesse de son quartier. D’ailleurs, Billy, au début, il n’est pas danseur, il est boxeur.

Les habitants, les enfants en particulier (voir la petite toujours collée au mur dans l’allée) sont comme enfermés dans les rues de briques rouge-brun. Le père dit lui-même qu’il n’a jamais vu le centre de Durham qui n’est pourtant pas bien loin. Daldry nous fait ressentir cet enfermement, notamment à travers les déplacements de Billy. Même quand il surplombe la rue depuis un muret, il reste coincé et sans horizon. Dans une scène qui facilement nous emporte, Billy court et danse pour exprimer sa colère. Il cogne pointes et talons au sol comme un oiseau se cognerait contre les barreaux d’une cage. Il bat le pavé de claquettes jusqu’à la fin de la route et le cadre s’ouvre enfin. Là, Daldry finit par nous montrer un bout de ciel bleu au-dessus de la ville et la mer à l’arrière-plan. Une image furtive nous vient, celle d’une plage par-delà les murs dans Dark city (Proyas, 1998). Billy est un gosse en devenir, sa combativité rend possible sa métamorphose.

Derrière la danse, le réalisateur filme la violence de la période Thatcher, fermeture des mines programmée, les grèves et les heurts. Avec la danse, c’est un gamin qui s’affirme comme le fer de ses chaussures frappé sur le bitume.

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