Beyond flamenco (Jota)

Carlos Saura, 2016 (Espagne)



Coup de pied, pointe, talon. Le cours des enfants avec Miguel Angel Berna commence par ces pas de danse simples. Il faut bien s’échauffer. Puis viennent les castagnettes, les pas sur le côté, les tours sur soi, les montañas, le tout en groupe et en musique. Voilà la jota décomposée.

Depuis les années 1990, Carlos Saura fait des films musicaux sur le patrimoine culturel, danses, musiques et chants, ibérique et latino-américain : Sevillanas (1992), Tango (1998), Iberia (2004) ou Fados (2007). Après Argentina sorti en 2015, vient donc Jota, qui marque un retour en Espagne et plus précisément un retour dans la province même où Saura a vécu, l’Aragon. La jota comme le flamenco est à la fois d’origine incertaine et un brassage de cultures (arabe, mozarabe, juive…). Saura nous montre bien sur un titre la jota en costume traditionnel, mais il quitte assez vite le folklore pour montrer ces chants et ces danses pleins de rythme et de vitalité dans toute leur diversité.

Ainsi, il existe des jotas dans toute l’Espagne, chacune ayant ses particularités. Jota de Calanda, de Andorra, de Albalate, de Zaragoza, danses et chants sont déclinés sur un même rythme de castagnettes, alors que les chansons, les accompagnements, les pas de danse du couple en démonstration varient. La diversité de la jota est également en rapport avec les influences et les époques. Les premières entendues rapportent des mélodies qui nous semblent proches des chansons et des airs profanes du bas Moyen Âge, alors que le fandango de Boccherini nous plonge en pleine période classique. Ce titre d’ailleurs, exécuté par un danseur et un seul violoncelliste (Giovanni Sollima), nous impressionne par sa folle complexité (nombreux changements mélodiques et rythmique, grande vitesse d’exécution, jeu vigoureux et plus en douceur…). La Tarantula jouée à la guitare sur une scène assombrie et accompagnée de danseuses voilées, est encore différente, plus mystérieuse, presque une danse rituelle (musique et danse thérapeutiques lira-t-on ailleurs).

D’autres jotas avancent en plein territoire jazz dans leurs parties instrumentales (clarinette, contrebasse, batterie, luth, piano ou violon selon les morceaux). Rythmes syncopés, structures complexes, courtes phrases enchaînées sur les titres Arrabal ou sur la Jota Mudejar tandis que le chant (sur Arrabal) conserve toute son identité espagnole et que les danses mélangent jota, danse classique et moderne. La Jota Gallega de Carlos Nunez avec ses nombreux instruments (flûtes, bandonéon, tympanon, cornemuse…) est un autre exemple de cette diversité. Carlos Saura évoque encore l’histoire de cette danse à travers de courts hommages de certaines de ses figures marquantes disparues : l’actrice et chanteuse Imperio Argentina ou le chanteur José Antonio Labordeta (accompagnant ce dernier, vers le milieu du film, des images évoquent l’enfance durant les années de guerre civile).

A travers tous ces exemples flamboyants et passionnés, Carlos Saura nous donne à voir et entendre des mouvements, des gestes, des mélodies, des paroles et au final tout un langage. C’est pourquoi on peut dire que le film retrace un peu l’évolution de ce langage corporel et musical. Un langage, ou une culture, qui se nourrit des époques traversées et qui a voyagé non seulement sur toute la péninsule mais aussi ailleurs dans le monde (Philippines, Mexique…) ; une musique et une danse ouvertes aux changements d’ambiance, aux accélérations, aux montées en puissance… C’est le cas lors d’une fête de village, la dernière jota jouée montre en outre que cet art tout à la fois traditionnel et moderne est capable de rassembler toutes les générations sur une même scène.





Distribution : Epicentre Films, sortie dvd le 27 juin 2017.
Film critiqué pour Cinetrafic :
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