Alexandre le bienheureux

Yves Robert, 1967 (France)



« Quand deux personnes se marient, ils ne deviennent plus qu’un. Le problème est de décider lequel. » Alexandre Gartempe (Philippe Noiret), en ayant épousé « la Grande » (Françoise Brion), se voit imposer un rythme de vie qui, bien qu’il n’en dise jamais rien face à elle, ne convient pas tout à fait à sa nature. Un claquement de doigt de la Grande suffit et voilà ce gentil costaud astreint à la tâche comme Hercule à ses travaux : traire la vache, ramasser les courges, charrier les sacs, planter les piquets… Pourtant, lui ne rêve que de taper dans le ballon avec les gamins du coin, de passer du temps au billard, de « prendre le temps de prendre son temps », de roupiller, surtout de roupiller. Soudain, la Grande meurt d’un accident et, après deux mois passé au pieu (saucisson, pinard et tuba suspendus à des ficelles au-dessus de l’oreiller), Alexandre tombe sous le charme d’une belle rousse, Agathe (Marlène Jobert), qui fainéante à l’épicerie du centre. Cachant bien son jeu, cette dernière n’a bientôt plus qu’une idée en tête, convoler en justes noces avec le paresseux colosse, reprendre le domaine du bougre à son idée (élevage en batterie, pisciculture, horticulture « avec les queues des chrysanthèmes je gaverai les petits cochons », accueil de touristes « j’prends 20 ha, j’mets un fil tout autour, on fera un terrain pour les caravanes, je louerai ça aux Parisiens comme résidence secondaire ») et par conséquent remettre Alexandre au travail.

Alors que durant les Trente Glorieuses, l’agriculture française s’est fortement modernisée et mécanisée, que les rendements et la productivité ont été considérablement accrus, Yves Robert présente un personnage capable d’abattre du travail pour dix (il est quand même tout seul sur une exploitation de 120 ha) mais complètement ivre de paresse. Pire, son hédonisme radical finit par être contagieux (Jean Carmet, Pierre Richard et Paul Le Person à la tête d’une lutte acharnée contre l’outrageante oisiveté du bienheureux). L’idée première du film viendrait du vif agacement du réalisateur à la lecture d’une fable de La Fontaine, Le laboureur et ses enfants *. Cependant, plutôt qu’au siècle de Louis XIV, Alexandre le bienheureux apparaît comme un vrai contre-pied au contexte économique et aux valeurs dominantes de la période 1945-75.

Une fois sorti du générique (très laid) entièrement consacré au chien, à sa course dans les herbes et à sa truffe en gros plan, le premier paysage du film nous offre l’image du village français par excellence : un champ au premier plan, un ou deux gros feuillus rassurants, quelques maisons autour d’un clocher à l’arrière plan. Le village pourrait figurer sur une affiche électorale : difficile dans ce cas de ne pas penser à Sermages dans la Nièvre qui avait servi de décor aux affiches de Mitterrand en 1981 (« La force tranquille » était-il un hommage à Alexandre ?). Yves Robert est allé tourner dans la Beauce. Cette image du « village de France » (peut-être Dangeau) paraît immuable. C’est un cliché. D’autant que ce village, à cause de sa petitesse (moins de 1000 habitants) et de son relatif isolement (sous l’influence de petits pôles urbains comme Châteaudun ou Bonneval, et presque coupé de villes plus grandes comme Chartres) semble avoir échappé aussi bien au phénomène de périurbanisation qu’à la déprise agricole.

Mais on ne retient ni le cliché ni les facilités auxquelles parfois le film se laisse aller. Alexandre le bienheureux porte un regard amusant et tendre sur toute une communauté rurale. Le réalisateur s’autorise même un brin de fantaisie (Alexandre, devant un jeu télévisé, soufflant ses réponses au candidat à travers l’écran), ainsi qu’une errance bucolique que l’on avait déjà pu apprécier ailleurs (La guerre des boutons, 1961).




* Voir la fiche Dvdclassik.

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