Wet season

Anthony Chen, 2019 (Singapour, Taïwan)

Tandis que l’eau tombe dehors, Madame Ling se pique dans la berline. Le traitement hormonal est censé l’aider à avoir un enfant. Elle a dépassé quarante ans et son mari ne lui apporte plus guère de soutien. Il privilégie plutôt les loisirs très sérieux avec les clients de son entreprise. La professeure de chinois, elle, passe ses journées au lycée dans lequel elle enseigne à une poignée d’élèves démotivés une langue dévalorisée (par les jeunes, par l’école, par l’État)… Durant ses soirées, elle s’occupe de son beau-père, vieillard paralysé qu’il faut nourrir, changer et déplacer du lit à la télé. La vie de couple de Madame Ling se désagrège et il ne faut longtemps pour s’apercevoir que la dépression n’est pas seulement météorologique.

Le réalisateur primé de Ilo Ilo (2013) fait le portrait âpre et sensible d’une Malaisienne (Yeo Yann Yann) partie d’une ville de province pour travailler à Singapour. On peut imaginer que les débuts avec son mari dans la cité-État devaient être heureux : bel appartement, belle situation, jeune couple amoureux… Les années ont passé. A Singapour, c’est la mousson. Pour Madame Ling aussi. Un élève de la classe de mandarin change pourtant la donne. Un durian partagé en classe et les rapports entre le jeune Wei Lun, habitué à la solitude, et Ling évoluent vite. L’adolescent (Christopher Lee, mais rien à voir), qui cherche à la fois une mère d’adoption et une petite amie, devient affectueux et particulièrement insistant. Ling trouve en lui un fils à accompagner mais il la trouble aussi. Wet season raconte la complexité de certains sentiments, leur fragile équilibre puis leur impossibilité.

Malgré les difficultés décrites, le film n’est jamais pesant, a le temps avec lui et offre même de belles scènes. Par exemple lorsque Ling ramène Wei Lun chez elle. La présence du jeune éveille un peu le grand-père (Yang Chi Bin). Alors qu’il nous a été présenté davantage comme une astreinte que comme un véritable personnage, son regard et ses gestes au contact de Wei Lun le font exister. Leurs échanges, aussi simples soient-ils, sont touchants. Avec Ling, le temps de quelques scènes, tous trois forment même un semblant de famille heureuse (autour d’une table à partager un repas, dans les gradins durant une compétition d’arts martiaux…).

Les étendues imaginaires de Yeo Siew Hua (2019) traitaient des mutations urbaines de Singapour et de l’effacement de l’humain dans ses redéfinitions spatiales. Il semble que Wet season traite de son côté des mutations sociales qui s’opèrent à grande vitesse dans la mégapole. Ling appartient à une minorité sans force ni pouvoir dans cette ville cosmopolite : une femme, provinciale, attachée au chinois, symbole d’un temps révolu. Les élites au cœur de la dynamique urbaine parlent anglais avec le moins d’accent possible et coupent avec leurs racines. Sans son mari, Ling est loin de tout ça. Sans beaucoup de lien social, elle finit par se replier sur elle-même, quitter Singapour, au moins un moment, et si l’on en croit le dernier plan, certainement retrouver un beau soleil intérieur.

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6 commentaires à propos de “Wet season”

  1. Très belle chronique qui m’a donné envie de voir ce film.
    Belles performances de l’actrice surtout tout en retenue .
    Les thèmes que l’on retrouve habituellement dans ce genre de cinéma asiatique sont touchants : les relations délicates entre cette enseignante et cet élève qui s’apprivoisent, la solitude, l’amour et sa complexité, le soin aussi aux personnes âgées font que j’ai vraiment aimé ce film !

    • Merci ! C’est vrai que le film reprend les thèmes et les ambiances d’un certain cinéma asiatique (à ce que tu dis, on pourrait ajouter le questionnement sur ce qui fait vraiment la famille). Mais je ne suis pas sûr de tout comprendre : tu as vu le film ou finalement pas encore ? Car il ne sort que ce mercredi !

      • C’est toujours très compliqué à comprendre ce cinéma asiatique mais les thèmes donnent toujours à réfléchir ..
        Oui je l’ai vu mais pas en France; à l’étranger.

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