Un prophète

Jacques Audiard, 2009 (France)

Réalisateur français à succès (Sur mes lèvres, 2001, Un héros très discret, 1996), Jacques Audiard sort sûrement son œuvre la plus sombre. Un prophète relate le parcourt d’un jeune délinquant illettré  Malik El Djebena, condamné à plusieurs années de prison ferme. Seul, il est fragile et subit la violence des autres détenus. Mais, assez vite, il est encadré et, après un service rendu contre son gré, il reçoit la protection des Corses qui font régner leur propre loi dans le pénitencier. Malik est plus intelligent qu’il en a l’air et, patiemment, à sa façon, il se fait une place et à impose ses propres règles.

L’univers carcéral proposée par Audiard s’écarte de ce qui est montré dans les séries télévisées (Prison break, 2005-2009, Oz, 1997-2003 malgré tout leur effort de réalisme). Il dépeint un monde glauque, violent et désespérant. Le sentiment de claustrophobie prend vraiment le spectateur aux tripes. Le récit est volontairement dérangeant, ce qui n’a pas manqué d’entraîner les protestations de quelques-uns (des nationalistes corses qui ont qualifié le film de raciste et même de membres du gouvernement français qui, eux, craignent que les jeunes n’aient pas le recul nécessaire face à l’histoire).

Le jeu des acteurs est également éblouissant. Le jeune comédien Tahar Rahim est très crédible dans le rôle de Malik. Que dire de Niels Arestrup qui, décidément, est habitué aux rôles de mauvais et de « sale gueule » ? Il fait encore une fois très fort dans la peau de ce chef de gang corse.

Jacques Audiard signe son meilleur film. Un prophète est une œuvre noire, réaliste et touchante. Le spectateur sort de la salle sonné, désabusé, parfois révolté.

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4 commentaires à propos de “Un prophète”

  1. Audiard reprend surtout un thème déjà traité, celui du père dont le fils a besoin de se défaire pour gagner son épanouissement.

    De battre mon cœur s’est arrêté (2005) commençait par quelques phrases échangées autour d’un vieux père dont il fallait s’occuper et s’achevait peu après que Romain Duris ait perdu le sien. Une fois le père mort, la rédemption devient possible.

    Dans Un prophète, Malik apprend de son « père » en prison (César Luciani – Niels Arestrup). Cette paternité est factice et pesante (« Si tu bouffes, c’est à cause de moi. Si tu rêves, si tu penses, si tu vis, c’est à cause de moi »). Mais elle est nécessaire pour survivre en prison. Prenant appui sur César, Malik, le petit Arabe, s’élève au-dessus des autres : il apprend à écrire, à parler corse, il se fait connaître du milieu criminel, tisse ses liens et s’impose (il provoque et patiente « religieusement » 40 jours au trou). Un jour, le fils se débarrasse du père et le remplace. Serait-il ici exagéré de citer Superman, « le père devient le fils et le fils le père » (Superman returns, Singer, 2006) ? Préférons Desplechin, Un conte de Noël (2008).

    Audiard crée une atmosphère complexe.
    Il n’y a pas que l’asphyxie de l’enfermement à travers ses images (je suis moins impressionné par la façon dont il filme l’intérieur des murs, que l’extérieur ; la première fois que Malik sort pour une permission est un moment superbe, au soleil levant, l’air frais du matin sur le visage ; dehors les oiseaux chantent et cela même lorsque le suspense rejaillit, fine mélodie à laquelle fait attention celui qui est enfermé, à laquelle peu de cinéastes auraient pensé en pareil moment). Audiard imprègne aussi son œuvre d’un mysticisme rare : le premier mort qui hante et devient compagnon de cellule, les rêves prémonitoires…

    Un prophète est un chef-d’œuvre. Son aboutissement et son souffle l’attestent. Peut-être parce qu’il est plus long, moins intense (alors qu’il l’est bel et bien), il n’a toutefois pas pour moi la résonance et la puissance du précédent, De battre mon cœur.

  2. Benjamin, « le film commence par la mort du père du collègue à Duris et finit (presque) sur la mort du sien ». Totalement d’accord, mais je souligne l’aspect négatif de la chose.

    Audiard a trouvé la recette qui marche avec De battre mon cœur s’est arrêté et tout ce que le film a raflé comme prix.
    Sauf que là, il nous prend pour des cons. Il nous fait carrément le « même film », les mêmes effets, les même raccourcis, il pose un faux problème mixé à de la violence bas de gamme.
    Puis l’acteur, à croire tout le monde, c’est un génie. On prend un jeune typé, inconnu, on lui fait le regard noir, les cheveux longs, la barbe, et puis voilà c’est un grand, il a de la profondeur… Par contre j’adore Niels Arestrup, aussi présent dans De battre mon cœur.

    Un film sur-côté par une médiatisation qui n’a pas lieu d’être.

  3. Film superbe. L’univers carcéral, ce monde où les hommes sont comme des animaux, est restitué de manière brute et très fidèle. Mais au-delà de l’aspect presque reportage c’est un scénario puissant qui montre les ficelles, combines, lois internes et souterraines de la prison. L’aide des uns en échange d’un service, les règlements de compte… Et au milieu de tout ça, le jeune Malik, complètement perdu au début, va arriver petit à petit à tirer son épingle du jeu, à créer son propre réseau, à jouer double jeu pour finalement sortir après six ans avec de belles perspectives… De banditisme. La dernière image des voitures, menaçantes, suivant Malik et sa probable future compagne sont comme un cortège funèbre. Là où certains en auraient fait un film spectaculaire, Audiard s’est attaché à la force des caractères et des personnages avec un casting énorme, autant dans les premiers que les seconds rôles. Il y apporte aussi un certain mysticisme, probablement lié à la folie des horreurs endurées en prison et l’effet d’aliénation de plusieurs années d’incarcération. Très fort, vraiment. Et les performances de Tahar Rahim (sans être un « génie », oui il a de la profondeur, et une réelle présence devant l’écran… Qui va bien au-delà de son aspect « regard noir, typé », etc.) et de Niels Arestrup sont fantastiques.

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