The assassin

Hou Hsiao Hsien, 2015 (Chine, Taïwan, Hong Kong)

Assassin

Inspiré d’un Chuanqi écrit par Pei Xing autour du IXème siècle, The assassin illustre avec brio l’inventivité et le dynamisme de la littérature chinoise sous la dynastie Tang. A l’heure où la Chine, après des décennies de communisme, tente de renouer avec son prestigieux héritage culturel (qu’il soit littéraire, artistique ou philosophique) et donc avec son passé impérial, le choix de ce texte classique par le réalisateur Hou Hsiao Hsien peut interroger. Loin de moi l’idée de faire de cette modeste chronique cinéma une tribune à l’encontre de l’impérialisme chinois renaissant, là n’est pas le sujet, mais la portée de ce choix n’est sans doute pas totalement innocente. Simple envie de partager son amour de la littérature chinoise classique ou volonté de transmettre un subtil message politique de la part d’un réalisateur d’origine taïwanaise dont la filmographie a déjà prouvé l’engagement politique, chacun se fera son avis, mais il n’empêche que le contexte politico-historique du film résonne de manière particulière à l’heure où les relations entre Taïwan et la Chine continentale sont particulièrement tendues.


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L’histoire se déroule à la fin de la prestigieuse dynastie Tang. Sentant son contrôle sur les provinces périphériques s’affaiblir, le pouvoir impérial envoya à l’orée du VIIIème siècle un important contingent de troupes armées dans les régions du nord et délégua une princesse de haut rang dans la province de Weibo afin que son installation apaise les ardeurs des plus fervents partisans de la révolte. Mais Weibo étant loin de la capitale cette stratégie n’eut pas l’effet escompté. Un siècle plus tard, la situation est devenue si tendue que l’empereur exige la tête du gouverneur de Weibo, le puissant seigneur Tian Ji’an, toutefois l’attaque frontale effraie le pouvoir impérial et c’est à l’aide d’une méthode plus discrète qu’il espère mater la révolte. Nie Yinniang, jeune aristocrate originaire de Weibo, a été dès son adolescence éloignée de sa famille et éduquée au sein d’une secte d’assassins redoutables. Pour l’endurcir, la nonne chargée de sa formation (et dont on se doute qu’elle est une proche de l’empereur) l’envoie assassiner Tian Ji’an, qui n’est autre que son propre cousin et son ancien promis. Pourtant, de retour dans sa contrée, la jeune femme se laisse gagner par les sentiments qu’elle croyait profondément enfouis et se retrouve écartelée entre le désir d’accomplir sa mission et l’émotion qui la gagne en présence des siens et en particulier de Tian Ji’an.

Après une décennie d’absence, le réalisateur taïwanais Hou Hsiao Hsien revient sur le devant de la scène en s’attaquant, c’est une première dans sa carrière, au wu xia pian, film de sabre chinois, dont l’Occident a déjà pu avoir un aperçu grâce à des longs métrages aussi réussis que Tigre et dragon ou bien encore Le secret des poignards volants (sans oublier toute une série de films dans lesquels le maître en arts martiaux Jet Li tient souvent le rôle principal). Mais le réalisateur chinois, tout en s’inscrivant dans cette tradition populaire, s’éloigne des canons d’une genre plus ou moins réinventé par Tsui Hark et son cortège de chorégraphies assistées hallucinantes. Exit donc les combats magistraux, mais parfois interminables, qui ponctuent nombre de films du genre, Hou Hsiao Hsien a choisi une approche moins martiale mais plus esthétique. Les combats qui émaillent son long métrage sont souvent plus brefs, moins chorégraphiés, mais tout aussi stylisés. Il s’autorise même d’étonnantes fantaisies en filmant certaines scènes de loin ou bien en choisissant quelque angle de caméra audacieux (caméra plus proche des combattants, personnages hors champ….). Les puristes du wu xia pian resteront sans doute sur leur faim, regrettant l’action débridée de films d’arts martiaux de facture plus classique, mais l’approche aura sans doute le mérite d’attirer les spectateurs que les frasques acrobatiques d’un Jet Li au sommet de sa forme auraient immédiatement détournés de ce type de cinéma.


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Au premier abord, The assassin peut surprendre, en premier lieu par sa narration un tantinet décousue, qui rend l’histoire difficile à suivre alors même que le scénario n’est finalement pas bien compliqué, mais le réalisateur est rarement explicite et dissémine les indices avec une parcimonie qui nécessite une attention soutenue ; nul doute que le film gagne à être vu plusieurs fois pour saisir toute la subtilité de cette narration en apparence obscure. La réalisation inventive et sophistiquée de Hou Hsiao Hsien peut également dérouter. Si la beauté plastique du film ne souffre aucune critique et participe à sa dimension contemplative, certains choix techniques peuvent interroger, comme celui par exemple d’avoir filmé dans un format très proche du 4:3 ; quelques scènes sont néanmoins tournées au format panavision 2,35 (ou 1,85 je vous avoue que je ne suis pas allé vérifier), notamment les scènes de flash-back. Cette alternance des formats n’est pas la seule fantaisie du réalisateur chinois, qui filme plusieurs scènes en noir et blanc et n’hésite pas à varier le grain de l’image, parfois jusqu’à la saturation. Si le choix d’un format resserré pour les scènes intimistes ou les combats rapprochés peut se justifier, cela paraît nettement plus étrange lorsque le réalisateur filme les paysages grandioses des scènes d’extérieur. Hou Hsiao Hsien a donc pris le parti de sortir le spectateur de sa zone de confort en lui refusant ses repères habituels, il n’en demeure pas moins que cette débauche d’effets purement visuels force l’admiration autant qu’elle agace tant on se demande si elle n’est pas quelque part un peu vaine.


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La virtuosité du maître finit cependant par l’emporter tant sa réalisation se montre le plus souvent séduisante, notamment lors de cette superbe scène où Tian Ji’an retrouve sa concubine, la caméra étant placée derrière de fines tentures, qui au grès des courants d’air voilent légèrement l’objectif ; l’effet est très poétique et éminemment réussi. On se laisse également séduire par le soin apporté à la production ; le casting est excellent, les décors sont extrêmement soignés, les costumes sont absolument magnifiques et la direction des acteurs est tout simplement irréprochable. On se plaît pourtant à croire qu’en choisissant une réalisation plus classique le film aurait été tout aussi réussi, mais comme il est de bon ton de s’extasier face à tant de virtuosité et d’inventivité on fera contre mauvaise fortune bon cœur en gardant à l’esprit qu’en dehors de ces quelques coquetteries stylistiques, The assassin est un film qui par sa grâce subtile et sa beauté plastique marquera indélébilement le genre.

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4 commentaires à propos de “The assassin”

  1. Très belle critique, qui m’aura permis d’mieux comprendre certains trucs.
    Par contre personnellement, j’me suis vite ennuyé, malgré effectivement de très belles images et un joli casting. Et effectivement le changement d’format tout du long est parfois incompréhensible, mais le top reste quand même la musique celtique à la fin, j’ai vraiment pas compris ce qu’elle venait faire là…

  2. Ascétique et esthétique, le film de Hou trouve dans ce texte la pleine mesure de sa valeur. S’ajoute une lecture politique (que j’ai sans doute trop simplement réduite à une analogie entre Weibo et Taïwan dans ma chronique) qui permet de prolonger le regard par-delà la surface hypnotique de ces tableaux vivants. Voilà qui tord le coup à la superficialité régulièrement reprochée à cette œuvre séduisante et paradoxalement austère. C’est peut-être ce contraste des sentiments qui fait la fibre des chefs-d’œuvre.

  3. Bonjour,
    Je perçois pas mal de réserves dans ton texte, et je les partage. Je crois que je suis plus sévère encore dans mon texte « chez moi ». The Assassin propose un cinéma de masques et d’instant, où le récit (dont l’intrigue est pourtant classique, mais si elle est ici rendue confuse par Hou) ne se déploie jamais dans la durée. C’est un cinéma fait pour parler de la modernité, mais moins adapté aux exigences du récit classique à mon sens. Les fastes de la mise en scène ne permettent pas elles seules de créer l’émotion que le destin de Yinniang (le personnage est peu écrit et pas toujours bien servi par Shu Qi) aurait normalement dû susciter. Reste évidemment que c’est très beau, mais même la beauté peut être un masque. Pour rebondir sur ton premier paragraphe, qui évoque un sujet passé sous silence par la critique, The Assassin est le premier film de Hou Hsiao Hsien co-financé par des sociétés de production chinoises.

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