Star Wars : Episode VII – Le réveil de la Force

J. J. Abrams, 2015 (États-Unis)

GARANTI AVEC DE VRAIS MORCEAUX DE SPOILERS DEDANS

Fi d’une exégèse trop longue, laissons-nous guider par la Force et contentons-nous de faire quelques remarques ou de souligner simplement les temps forts. A commencer par le plaisir retrouvé dès la lecture du générique incurvé et la présentation de la nouvelle histoire (« Luke Skywalker a disparu » !), même si la vague de frissons cette fois ne viendra que plus tard, aux premières notes du thème de la Force, au jaillissement de la lame bleue crépitante ou même avant cela quand un modeste coffre s’ouvre devant nos yeux écarquillés pour laisser apparaître un sabre laser, celui fameux qui a traversé tous les épisodes depuis 1977. Ce moment clef est d’ailleurs particulièrement habile dans sa mise en scène, même si celle-ci n’est pas sans rappeler l’épreuve de Luke face à Darth Vader sur Dagobah dans L’épisode V (1980). Rey (Daisy Ridley), trieuse de déchets de son état (simple désosseuse d’épaves stellaires sur Jakku), est guidée par une série d’illusions et de souvenirs mêlés, jusque dans les sous-sols d’une taverne intergalactique (sur Takodana), traverse des couloirs inquiétants et passe au milieu de sombres figures, avant de se retrouver devant un coffret en bois comme devant un trésor, puis l’instant suivant avec entre les mains un sabre vers lequel elle a inconsciemment été attirée et qui l’a peut-être même appelée comme l’anneau unique appelait Bilbo.

Le scénario du film déçoit forcément un peu, comme si toute la saga tournait autour de trois idées seulement, satellite épuisé dans un système planétaire moribond (des plans volés, une étoile noire, un point faible à dégommer à coup de tirs de X-wings). Pourtant, le rythme, les images mettant notre imagination en effervescence et toute l’aventure parfaitement capable de nous propulser dans le temps et l’espace, dans une galaxie très très lointaine, prennent vite le dessus et font oublier les faiblesses d’une histoire un peu usée. L’épisode VII nous emporte un peu à la manière du Faucon Millenium, vieille carcasse endurante dont, à tort, on ne soupçonne pas la possibilité de passer en vitesse-lumière.

En outre, Le réveil de la Force est plus humain, et par ses héros plus complexe aussi que les épisodes maladroits de la prélogie (I, II, III). Les scénaristes Lawrence Kasdan (déjà sur L’Empire contre-attaque et Le retour du Jedi), Michael Arndt (qui avait participé à l’écriture des très bons Oblivion de Kosinski en 2013 ou plus tôt de Toy story III d’Unkrich en 2010) ainsi que J. J. Abrams ont su réellement travailler l’évolution psychologique des personnages qui gagnent en finesse (même s’il n’y a là rien de sidéral non plus), et d’autant plus si on se met à comparer ces derniers au couple mal aimé Padmé et Anakin (de 1999 à 2005, de La menace fantôme à La revanche des Siths). Le réveil de la Force est plus humain : ce dont témoigne la volonté d’accorder sa place aux effets spéciaux mécaniques (et d’amoindrir par conséquent la part du numérique), ce dont témoigne la facilité qu’ont les personnages à ôter leur masque (Kylo Ren par exemple interprété par Adam Driver), ce dont témoigne les états d’âme du stormtrooper FN-2187 rebaptisé Finn (le sympathique John Boyega) ; stormtrooper qui pour la première fois de la saga, au moins pour l’un d’entre eux, existe ! On notera également la place accordée aux femmes, l’héroïne jouée par Daisy Ridley, la Générale Léia (Carrie Fisher), Maz Kanata dans son repère de pirates… Mais également toutes celles qui évoluent du côté obscur : certes des sbires plus ou moins gradées, cependant combien de femmes avions-nous vu tourner du bouton sur telle ou telle base ennemie par le passé ? Enfin, le film ne pose plus la question de qui va basculer du côté obscur… La crise, les batailles à grande échelle, tout cela semble derrière (voir la relique d’un Destroyer de l’Empire crashé sur Jakku), le plus gros en tout cas. On se demande à l’inverse à présent qui va rejoindre la lumière et révéler à nouveau le côté « clair » de la force. Et, après la longue crise de 2008, le film glisse certainement à son insu quelque chose du contexte politico-économique du monde contemporain*…

Dans la dernière scène, au bout d’une ascension dans un paysage de montagne, face à l’ermite par tous recherché, le dernier détenteur de la Force, Rey tend le sabre laser. Mais le geste, en champ-contrechamp (et en 3D qui plus est) paraît moins adressé à Luke qu’au spectateur lui-même. Rey nous tend cet objet et le symbole devient évident : (après l’épuisement d’un Hobbit…) c’est une invitation à replonger dans l’aventure, à se saisir d’un mythe (étoffé et dépouillé à la fois par Lucas en personne dans sa seconde trilogie) qu’il nous est impossible ici de refuser.

* Après le très intéressant essai de géofiction d’Alain Musset, De New York à Coruscant, on ira lire cet autre texte (malgré le titre !), politique cette fois, Thomas Snégaroff, Je suis ton père : La saga Star Wars, l’Amérique et ses démons, éd. Naïve, novembre 2015. A écouter pour une présentation passionnante de ce livre et, par exemple, un parallèle inédit entre Star Wars et la fresque siennoise du Bon et du mauvais gouvernement de Lorenzetti (à travers la récente analyse de Patrick Boucheron) La Grande Table, 2ème partie sur France Culture, du 18 décembre 2015.

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8 commentaires à propos de “Star Wars : Episode VII – Le réveil de la Force”

  1. D’accord, ça reste beaucoup mieux que les films de la « prélogie. » Mais chez moi, le sort final réservé à Han Solo n’est pas passé. Voir ma critique en lien ci-dessus.

  2. Après t’avoir lu, je suis finalement assez d’accord avec tes remarques concernant Solo et (dans une moindre mesure) Leia. J’ai trouvé Harrison Ford assez peu à la hauteur (en vo probablement mon impression aurait-elle été amoindrie), un peu pataud, aux traits d’humour un peu usés. Mais c’est aussi pourquoi le geste d’Abrams que de le faire disparaître est à mes yeux plutôt satisfaisant et de sa part assez osé (il se débarrasse quand même d’une sacrée figure !).

  3. Je pense effectivement que Ford ne manquera pas à l’Episode VIII… Sauf qu’il apparaît curieusement dans le casting du film selon l’Imdb… On verra bien ce qu’il en sera. Joyeuses fêtes !

  4. La seconde fois, en vo ce coup-ci, Harrison Ford est mieux. Son problème vient vraiment du doublage, maladroit ou trop peu énergique, quoiqu’il en soit trop peu convaincant.

    J’ai été attentif au robot de Miyasaki que tu as vu mais ne l’ai pas trouvé, et pourtant j’ai scruté l’écran, au point d’ailleurs de voir un faux Jajar dans la foule vers la fin du film !

  5. Je n’étais pas convaincu par cette référence à Miyasaki mais Patrick Baud (qui accompagne le Fossoyeur dans l’après-séance consacré au film) la reprend et ajoute d’autres choses qui me paraissent ensemble plus intéressantes : un rapprochement entre Rey et Nausicaä (1984), la luxuriance de Takodana associée à un décor de ruines (tout ce vert impressionne Rey à son arrivée) ainsi que ce vieux robot à peine croisé par les héros (ces derniers arguments nous ramenant donc sur Laputa). tous ces arguments additionnés finissent par me rallier à l’idée.

    Par conséquent s’il s’agit bien, dans un Disney, d’une influence des studios Ghibli (ou d’une référence à ces derniers), je trouve la démarche d’Abrams très séduisante, connaissant les approches à peu près antinomiques des deux studios.

  6. Oui, l’influence de Miyazaki sur le film est globalement très importante et j’avais notamment parlé de l’influence de Nausicaa dans ma critique de Star Wars. Si tu veux t’en convaincre encore plus Dc Crane, je t’invite à comparer les plans où l’on voit Nausicaa pour la première fois dans le film de Miyazaki et ceux où l’on voit Rey pour la première fois dans le Star Wars d’Abrams. Les similitudes sont impressionnantes… (même masque, même activité, etc.) Je tiens Nausicaa pour un des deux chefs-d’oeuvre de la SF des années 80 (l’autre étant Blade Runner). C’est mon Miyazaki préféré avec Chihiro et Totoro (il faut dire que Miyazaki n’a quasiment fait que des grands films…)

  7. Je voudrais rajouter que Miyazaki est estimé par énormément d’artistes aujourd’hui aux US (où l’on considère Nausicaa, à juste titre, comme un grand film de SF), et son influence sur ce Star Wars relève d’une démarche personnelle (pas si étonnante donc) de J.J. Abrams et de son équipe artistique et non d’un clin d’oeil d’un studio (Disney) à un autre (Ghibli) malgré les rapports contractuels existant entre les deux studios (le premier distribuant les films du second aux Etats-Unis).

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