Shutter Island

Martin Scorsese, 2010 (États-Unis)

Martin Scorsese revient dans la grande tradition du film noir. L’histoire se déroule au début des années 1950. Le marshal Teddy Daniels et son coéquipier Chuck Aule sont envoyés sur l’île de Shutter Island, dans un hôpital psychiatrique de haute sécurité où sont internés des malades dangereux. Ils doivent enquêter sur la mystérieuse disparition d’une patiente semblant s’être volatilisée de sa cellule, pourtant fermée à clef. Seul indice visible : une feuille de papier où sont griffonnés des lettres et des chiffres. Très vite, le mystère s’épaissit et les obstacles se multiplient pour les deux investigateurs. Coupés du continent, ne sont-ils pas à leur tour prisonniers dans l’île ?

Shutter Island est une nouvelle adaptation au cinéma de l’écrivain à grand succès Dennis Lehane (à qui l’on doit en particulier Gone baby gone ou Mystic river). C’est aussi la quatrième fois que Martin Scorsese dirige Leonardo DiCaprio (Gangs of New York, 2003, Aviator, 2005, Les infiltrés, 2006).

Bien qu’ayant finalement assez rapidement compris le sens de l’histoire du film et n’ayant pas lu le roman, je trouve que Martin Scorsese s’en sort très bien. L’atmosphère est oppressante. Un des souhaits pour cette histoire était de retranscrire l’atmosphère qui pouvait régner dans les films noirs des années 1950 (comme dans la scène d’ouverture sur le bateau avec son faux ciel menaçant). Les rebondissements sont nombreux. Leonardo DiCaprio bien sûr crève l’écran mais il ne faut pas oublier les personnages secondaires comme les deux inquiétants médecins interprétés par Ben Kinsgley et Max von Sydow. Le réalisateur s’amuse à plonger le spectateur dans le malaise et le doute. En bref, même si l’on peut encore regretter le Scorsese d’antan (Taxi driver, 1976, Les affranchis, 1990), ce film reste une grande réussite.

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7 commentaires à propos de “Shutter Island”

  1. Sur le coup, je pense que je ne vais pas vraiment me faire des potes, mais j’ai très moyennement apprécié ce film. Attention, je ne porte aucun jugement de valeur sur Shutter Island, techniquement c’est un très bon film, très maîtrisé sur le plan de la narration, très bien filmé et fort bien dirigé (les acteurs étant excellents au demeurant). Hélas, je ne suis jamais rentré dans ce film, de bout en bout je l’ai regardé de l’extérieur, l’ennui guettant à chaque instant. Sans doute une question de feeling, il y a des choses que l’on peut difficilement exprimer avec des mots.

  2. Distinguons deux parties. Une que l’on préfère jusqu’à l’illusion de Chuck sur les rochers au bas de la falaise (et avant l’entretien derrière les flammes avec la patiente échappée). Scorsese y dévoile les pièces de son puzzle éclaté. Une autre peut-être moins convaincante (le flic devenant patient), notamment parce que l’ambiance installée par la découverte des lieux et par la tourmente s’estompe (Dante Ferretti aux décors ; musique imitant celle d’un film fantastique). La dernière scène (que je n’ai pas de suite comprise), très maligne, redressant l’ensemble.

    Quelques points de mise en scène. Au milieu des décors comme dans la tête du personnage : le fameux bâtiment C, si peu éclairé (les allumettes craquées les unes après les autres) et ses cellules comme autant de recoins du cerveau à l’accès refusé. Le motif de l’ampoule qui grésille répété en divers endroits (prête à griller à tout instant, lumière ou pas lumière ; quand le marshall retrouvera-t-il ses esprits ?). Le pansement à la tête de DiCaprio, un peu comme celui sur le nez de Nicholson (Chinatown, Polanski, 1974), qui nous indique dès le début les troubles psychologiques, voire la folie du protagoniste. Et au final, DiCaprio qui le pansement perdu et tout en haut du phare (dont la lumière peut guider les égarés) recouvre ses pensées. Pourtant celui-ci fait un choix… Et le dernier plan : le phare terrifiant et définitivement éteint.

  3. Shutter Island mérite d’être revu. Et la seconde fois, on se prend davantage au jeu des énigmes.

    Shutter Island folie

    La scène d’introduction regroupe d’importants indices pour saisir plus rapidement l’intrigue. Le personnage de DiCaprio apparaît pour la première fois dans un miroir avec son pansement au front : sont donc déjà signalés par ce plan les troubles de l’esprit et l’alter-ego de Teddy. Cette scène sur le bateau place aussi dès le début dans une ambiance quasi fantastique. Le ferry quitte une brume épaisse (l’image signale peut-être ainsi que le héros finira par retrouver la raison). L’apparition de l’île juste avant d’accoster est accompagnée d’une musique terrifiante, comme si l’on approchait de l’île de Böcklin. Enfin, l’eau, partout.

    Scorcese nous pousse à chercher le moindre indice. Et donc à bien y regarder, il en est qui nous amusent. Un par exemple, une disjonction parmi d’autres, preuves de la folie de Teddy, celui du verre d’eau servi à une patiente du centre de détention lors d’un interrogatoire. Le verre est bien servi mais quand elle fait le geste de le porter à la bouche, elle n’a rien dans la main. Le montage intègre ce plan rapidement entre deux autres qui nous montrent bien le verre, de telle manière à nous faire douter. A-t-elle bu ? A-t-elle fait semblant ? Tout le film en fait repose sur ces trompe-l’œil, sur la fausseté et le simulacre (le titre n’est d’ailleurs qu’un anagramme -et on rage de ne pas avoir trouvé seul cette astuce !- : SHUTTER ISLAND = TRUTHS AND LIES).

    Shutter Island folieShutter Island folie

    Les médecins le disent, leur thérapie est un grand jeu de rôle. Ils sont les metteurs en scène qui tentent de faire émerger la vérité tout comme les artistes à leur manière cherchent à le faire. S’ils y réussissent, leur patient (le personnage ou le spectateur) finit par prendre le dessus (le pansement sur le front s’est décollé, Teddy feint la rechute et parvient à ses fins, se faire lobotomiser). La métaphore cinématographique point à nouveau : l’œuvre échappe ainsi au créateur. Le réalisateur de Hugo Cabret (2011) ne traite-t-il pas dans Shutter Island de l’essence du cinéma, de la représentation, du simulacre, de l’image ?

    Et le verre d’eau manquant est un pied de nez. Nous avions évoqué plus haut le travail de Scorsese sur les sources de lumière (de l’ampoule au phare) et ce que cela symbolisait, mais l’eau est aussi partout : sur une île, en pleine tempête, ou, dès les premières minutes du film, Teddy se verse de l’eau sur le visage, et plus loin l’eau des canalisations le trempe pendant son sommeil, etc. L’eau fait partie du traumatisme. Et pourtant, face à lui, ce verre d’eau (la seule eau qui n’a rien de négatif ou de dangereux) disparaît…

    Aussi, parce que le capitaine du ferry explique aux marshals qu’« une tempête approche », on pourrait rattacher Shutter Island au « cinéma de l’inquiétude » que Laurent Aknin croit discerner dans ses Mythes et idéologies du cinéma américain (2012). Il trouve en effet cette phrase, « A storm is coming », dans plusieurs films contemporains (The dark knight rises, Nolan, 2012, Take shelter, Nichol, 2011…), films qui auraient pour point commun d’exprimer « l’angoisse d’un déclin américain » et « la peur de la chute » (ce sont là les mots de sa conclusion). Mais quoiqu’il dise de l’Amérique, Shutter Island n’exprime en rien le déclin du réalisateur.

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