Rio Grande

John Ford, 1950 (États-Unis)

C’est le dernier épisode de la trilogie de la cavalerie et toujours, par le mouvement des cavaliers lancés à toute allure dans les paysages étendus de la Monument Valley, Ford nous impressionne. Mais Rio Grande plaît aussi énormément pour ses personnages et les relations qu’ils développent. Le réalisateur de La chevauchée fantastique (1939) s’attache non seulement à créer des liens denses entre ses personnages principaux, ceux incarnés excellemment par John Wayne, Maureen O’Hara et Claude Jarman Jr., mais aussi avec les personnages qui les entourent. De cette façon, quand il décrit les occupants d’une communauté retranchée dans un fort de la frontière mexicaine, Ford donne l’impression de ne négliger personne et ce sont avant tout les rapports humains et les sentiments qu’il valorise.

Parmi les intrigues secondaires, il y a par exemple le soldat Tyree (Ben Johnson), accusé un peu vite de meurtre et attendu fermement par le marshall, mais que ses officiers autorisent tacitement à fuir et que ses frères d’armes aident un peu plus tard. Il y a cette scène de bagarre entre le jeune York (Claude Jarman Jr.) et un autre soldat qui l’a provoqué parce qu’il est le fils du lieutenant-colonel Kirby York (Wayne). Wayne les interrompt mais ne parvenant pas vraiment à savoir ce qui se passe, feint l’indifférence et leur demande de poursuivre. Le lieutenant-colonel parti, les deux bagarreurs esquissent un sourire, se remercient et se serrent la main. On pourrait encore citer d’autres moments partagés qui font de ces hommes davantage des camarades de jeu que des soldats de cavalerie.

Rio Grande tient également beaucoup dans ces regards soutenus. Dès la première scène, on garde à l’esprit le regard anxieux des femmes qui attendent le retour de leurs hommes quand les troupes rentrent au camp. Pour revenir sur l’intrigue première, qui raconte comment Kathleen York entend reprendre son fils et le sortir de la garnison commandée par son ancien époux, une autre suite de regards peut marquer. Dans un plan, on voit le lieutenant-colonel soudain préoccupé parce que son fils vient de faire une impressionnante chute de cheval ou, dans un autre plan et à l’inverse, le jeune York terrorisé avant de retirer la flèche figée dans la poitrine de son père. Ford toutefois n’insiste pas maladroitement sur la relation père-fils. Il met surtout en valeur l’ironie de la situation. En effet, alors qu’ils ne se connaissent pas vraiment puisque le père a très tôt abandonné son foyer, la nouvelle recrue et le lieutenant-colonel refusent fermement d’entretenir une autre relation que hiérarchique et militaire, cependant tout dans leur attitude témoigne de l’échec de ces intentions et de l’envie de leurs retrouvailles.

Ces derniers exemples se rapportent à des attitudes inquiètes mais Ford ne se focalise pas dessus et en ajoute bien d’autres. On retient notamment le regard touchant et complexe de Maureen O’Hara quand elle pénètre sous la tente de son fils : elle le découvre pour la première fois en uniforme et en même temps une nouvelle cicatrice au visage. L’interprétation de l’actrice laisse tout voir, la joie et l’angoisse, l’amour et la fierté, son élan et sa réserve. C’est à nouveau de Maureen O’Hara que vient une des plus belles répliques du film. Lorsque le général laisse à Madame York le soin de porter un toast, elle fixe Wayne et lève le verre à sa seule rivale, la cavalerie américaine. Et puis dans un dernier plan, n’est-elle pas irrésistible à jeter des regards heureux à Wayne en faisant tourner une ombrelle par dessus son épaule ?

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4 commentaires à propos de “Rio Grande”

  1. Et on pourrait encore ajouter cette scène où des soldats de la cavalerie chantent sous un ciel étoilé pour un mari et sa femme qui s’étaient séparés mais où l’on découvre tout de même qu’ils n’ont rien oublié de leur passé commun.

    • C’est vrai que je ne dis mot du groupe folk Sons of the Pioneers, alors qu’il participe assurément à l’ambiance du film (et contribue même à la définition du genre, tant les chansons au coin du feu sont courantes dans les westerns).

  2. Ford a fait tellement de beaux films que chacun peut avoir ses propres préférences dans sa filmographie. Je préfère les deux premiers films de sa trilogie de la cavalerie, mais on trouve quelques belles scènes dans le film comme tu le dis. Ford lui-même n’était pas très satisfait de la manière manichéenne dont les Indiens sont décrits dans le film, héritage d’un scénario qui se voulait au départ anti-communiste selon certains ouvrages (par ex, John Ford et les Indiens).

  3. Je n’avais pas idée que les Indiens pouvaient être logés à la même enseigne que les Martiens durant la Guerre Froide. L’interprétation qui fait d’eux des communistes est intéressante.

    Mais d’autres films qui présentent les Indiens comme une menace (et sans réelle contrepartie) ont été à l’origine d’erreurs de jugement concernant Ford et les Indiens. D’où la défense passionnée de certains spécialistes et sûrement la nécessité d’un ouvrage comme celui que tu signales.

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