Rencontres du troisième type

Steven Spielberg, 1977 (États-Unis)

Cinq notes de musique rendues à jamais célèbres ou la prouesse de faire, durant plus d’une heure, d’un pâté (de mousse à raser ou de purée) tout le suspense d’une histoire. Après Duel en 1971 ou Les dents de la mer en 1975, ce quatrième long métrage est l’occasion pour Steven Spielberg de faire la démonstration de son savoir-faire et de s’affirmer comme un des fers de lance d’un nouveau et très rafraîchissant ciné-spectacle.

En ufologie, une rencontre de premier type est une observation visuelle de ce qui pourrait être une entité extraterrestre. La rencontre du deuxième type est une trace, une preuve de la présence extraterrestre. La rencontre physique appartient au troisième type. Après que les créatures de l’espace aient incarnées l’ennemi soviétique dans le cinéma d’Hollywood des années 1950 et 1960, et avant qu’elles ne redeviennent hostiles à l’homme (symptôme des Etats-Unis rendus victimes et paranoïaques dans un contexte international qui après la fin des années 1980 leur échappe ; le premier Alien, très méchant et très gluant, tourné par Ridley Scott sort en 1979), Spielberg en fait des êtres pacifiques (et même fragiles dans E.T. en 1982) avec lesquels les hommes sont encore capables de communiquer.

Des phénomènes paranormaux se multiplient dans le monde (une escadrille de l’aviation américaine perdue durant la Seconde Guerre mondiale est retrouvée intacte dans le désert, des problèmes électriques et électromagnétiques se manifestent localement…), avant qu’une poignée de personnes ne soient témoins d’une stupéfiante apparition d’O.V.N.I.. Depuis l’événement, quelques-uns, dont Roy Neary (Richard Dreyfuss), sont obsédés par l’image d’un monticule qu’ils voient partout et qu’ils tentent de reproduire d’une façon ou d’une autre. Cette obsession devient telle chez Neary que sa femme et ses enfants l’abandonnent et qu’il passe pour complètement dérangé auprès des voisins. Une fois découvert l’existence bien réelle du monticule, une montagne de l’Iowa appelée Devil’s Tower, il décide de s’y rendre coûte que coûte, contre les indications des autorités civiles et militaires, et s’y déplace en compagnie de Jillian Guiler (Melinda Dillon), une mère dont l’enfant s’est fait enlever par ces amis venus d’ailleurs. Ainsi, le gouvernement a ses petits secrets et de son côté le scientifique français Claude Lacombe, incarné par François Truffaut, alien de la Nouvelle Vague qui participe en tant qu’acteur à la naissance du concept « blockbuster », ajoute une touche étrange au film.

L’histoire racontée par Steven Spielberg est ancrée dans le quotidien de personnes simples, un peu comme dans La guerre des mondes (2004), ou celui auquel ce dernier semble emprunter, Signes (Shyamalan, 2002), qui s’intéressent tous deux bien plus à la cellule familiale et à ses crises qu’aux vilaines bestioles venant l’agresser. Plusieurs éléments de mise en scène ménageant la tension des personnages et du spectateur sont d’excellentes idées maintes fois plagiées (une grille en gros plan dont les vis se dévissent toutes seules en un crissement aigu, ou les silhouettes des petits humanoïdes à la tête disproportionnée devant une lumière aveuglante et leurs ombres géantes sur le sol – Chris Carter réemploie abondamment ces jeux de lumières dans la série X-files). Autre élément important, l’obsession de la montagne (l’antinomique « Devil’s Tower ») est la métaphore du désir d’élévation de l’homme vers le ciel, vers une vie extraterrestre ou vers le divin, ce que confirme la référence directe faite aux Dix commandements de Cecil B. DeMille (1955), dont Roy Neary voit un extrait dans son téléviseur. Neary est appelé, comme Moïse sur le mont Sinaï, à vivre une expérience sur la montagne avec une intelligence supérieure. En outre, à chaque apparition des visiteurs de l’espace (en début et en fin de métrage), l’ambiance rendue est assez magique (pas de musique ni d’effets inutiles, juste les vaisseaux spatiaux traversant le ciel ou les paysages). Spielberg sait mieux que personne rendre aux spectateurs leur regard d’enfant, l’innocence et la surprise préservées.

Encore une chose : il faut, et c’est une condition sine qua non, voir Rencontres d’un troisième type une nuit d’été et avoir la possibilité à la fin du film de sortir voir le ciel étoilé pour rêver à l’espace… ou bien juste pour vérifier.






Edition en Blu-ray version restaurée 4K (Sony Pictures).
Sortie le 26 septembre 2017.

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8 commentaires à propos de “Rencontres du troisième type”

  1. 1. Duel n’est pas vraiment le premier long-métrage de Spielberg. C’est plutôt l’adaptation au grand écran d’un téléfilm à succès, rallongé de quelques minutes (inutiles) pour satisfaire aux exigences de l’exploitation en salles.
    2. Ce n’est pas aimable pour Spielberg que de le rapprocher du petit Manoj Shyamalan, le pire scénariste de l’histoire d’Hollywood !

  2. A propos de la montagne,le désir d’élévation de l’homme vers le ciel est également confirmé par la légende Lakota de Devils Tower/ Bear Tower.
    Sept filles poursuivies par un ours se réfugièrent sur le rocher, priant le Grand Esprit de leur venir en aide. Le rocher se mit à grandir, poussant les filles vers le ciel où elles devinrent les sept étoiles de la Pléiade.

    Roy ne pouvait pas trouver lieu plus prédestiné pour une rencontre…

  3. Sony Pictures réédite Rencontres du troisième type en version restaurée 4K. Le coffret blu-ray propose d’abord trois versions du film, la version sortie en salle (1977), l’édition spéciale (1980) et le director’s cut sorti pour le 30ème anniversaire (2007). Dans les bonus, outre les nombreux documentaires, pour certains inédits (les 18 minutes de scènes coupées et autres matériaux, notamment les petits films réalisés par Spielberg durant le tournage), on s’intéressera davantage à ce qui est dit par le réalisateur sur l’origine du film et en particulier aux références faites à Pinocchio.

    « Pour moi, ça a été le début de tout »

    C’est Spielberg lui-même qui le dit à propos de Pinocchio dans un des documentaires en bonus (« Trois types de rencontres », 22 min. avec des interviews récents de Spielberg, J.J. Abrams et Denis Villeneuve). Il explique combien l’histoire de Pinocchio a pu le marquer enfant (la version de Disney en 1940 davantage que le texte de Collodi) et il précise que ce qui a pu tant l’inspirer se résume à l’idée simple et naïve que les rêves peuvent s’accomplir. On peut d’ailleurs trouver des allusions à Pinocchio dans Rencontres du troisième type. Le personnage de Roy (Richard Dreyfuss) adore le dessin animé et insiste pour le montrer à ses enfants. Il ajoute, mais on entend la voix de Spielberg à travers lui, que « c’est toute son enfance ». La femme de Roy l’interpelle une fois en le surnommant Jiminy Cricket. Puis il y a cette autre référence incluse dans la musique de John Williams, sur le titre The appearance of the Visitors et qui reprend quelques secondes le thème de When you whish upon a star de Pinocchio. C’est assez plaisant de se remémorer ou de découvrir cet amour « fondateur » pour Pinocchio dans un film de 1977 alors que Spielberg réalisera ensuite une adaptation moderne de cette histoire, maladroite par certains aspects (ce que n’est jamais Close encounters), en reprenant après Kubrick I. A. (2001).

  4. Tin-tin-tin-tinnn-tinnnnn. Sûrement un des films qui m’a fait aimer le cinéma ce Rencontres du troisième type. Un film qui fait rêver en effet. Concernant ton dernier message : A.I. est le contraire de Pinocchio. C’est un anti-Pinocchio qui dit que les contes de fées mentent et sont faux même si on en a besoin pour vivre. A la fin, David ne voit qu’un fantôme, pas sa mère, et au lieu de devenir un petit garçon, il meurt. Le plus émouvant des Spielberg.

  5. C’est aussi un des films qui est à l’origine de ma cinéphilie (montré au collège à la fin d’une année scolaire…) et c’est très certainement un de mes préférés de Spielberg.

    Je ne voyais pas Intelligence Artificielle de façon aussi sombre que toi. Même s’il ne s’agit que d’illusions, l’enfant robot n’en ressent pas moins un immense bonheur et connaît là une des plus belles morts qui soient. Un des androïdes lui dit bien qu’il est trop jeune pour comprendre et David, s’agrippant à chaque fois à un nouvel « et si », refuse de lâcher tout espoir. Mais tu as bien raison, c’est une fin absolument émouvante.

  6. Toujours dans le même bonus de cette édition 2017, Denis Villeneuve explique qu’il a découvert François Truffaut grâce au film de Spielberg. C’est donc Close encounters qui a amené le réalisateur de Blade runner 2049 (2017) à voir non seulement 400 blows, The wild child et les autres films de Truffaut mais aussi tous ceux de la Nouvelle Vague. Il est vrai que Truffaut est un personnage (Claude Lacombe) et un acteur à part dans le film de Spielberg. Ses échanges par exemple en français, sa voix toujours suivie par les traductions en anglais de son assistant, Laughlin, renvoie à un souvenir de cinéphile, celui des entretiens Hitchcock-Truffaut. L’acteur Bob Balaban (Laughlin) serait alors une sorte de nouvelle Helen Scott (la si « chère Helen » de François, qui l’assistait dans les entretiens pour comprendre et se faire comprendre d’Hitchcock). Dans les matériaux de Rencontres du troisième type, on trouve aussi des explications au choix Truffaut. Spielberg d’abord avait beaucoup aimé L’enfant sauvage (1969).

    Il trouvait aussi son « visage charitable » et donc intéressant pour l’opposer dans son film aux hommes froids du gouvernement, aux bureaucrates qui ont le visage fermé. Spielberg voyait encore dans Truffaut une personne pleine de gentillesse, encore très proche du monde de l’enfance (ce dont traite Close encounters, il suffit de considérer un instant à ce sujet l’attitude du père de famille). Spielberg dit qu’il avait besoin d’un homme qui avait garder « son âme d’enfant ». Dans le numéro spécial des Cahiers du cinéma qui est consacré à Truffaut (déc. 1984), il y a un joli texte de Spielberg qui explique :

    « J’avais besoin de quelqu’un de bienveillant, de chaleureux qui pourrait totalement admettre l’extraordinaire, l’irrationnel. Et c’est ainsi que je vois Truffaut, que je vois ses films. Il est tous les personnages d’enfants de ses films ».

    Et avec tous ces arguments, le choix du réalisateur français semblait s’accorder parfaitement avec ce film de SF plein d’optimisme, où les rêves, comme dans Pinocchio, peuvent se réaliser.

  7. C’est aussi un de mes Spielberg préférés, dont je ne me suis jamais lassé. Truffaut est merveilleux et cette idée du traducteur avec le chaos des langues (que l’on va retrouver dans Amistad ou Ryan) est formidable. Ses problèmes de communication entrent en écho avec ceux que les scientifiques ont pour comprendre le message des extra-terrestres puis communiquer avec eux. Et c’est Lacombe qui décrypte les notes musicales. Magistral.

    PS : tu aurais pu mettre ta très chouette photo des deux réalisateurs avec la mention de son auteur. Je vais peut être la piquer pour Inisfree 🙂

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