Raison et sentiments (Sense and sensibility)

Ang Lee, 1995 (États-Unis)

Scénariste et actrice, Emma Thompson signe cette adaptation du premier roman de Jane Austen*. Ang Lee, qui s’était fait remarquer dès ses premiers films (Pushing hands, 1992 et surtout Garçon d’honneur, 1993), met très sagement celui-ci en scène et semble se laisser porter par un récit qui visiblement se suffit à lui-même.

Au début, le sort n’est pas favorable à la famille Dashwood. Le père meurt (premiers plans à son chevet dans une obscurité que les bougies peinent à percer). La mère et les filles n’ayant plus de quoi maintenir leur niveau de vie, elles doivent céder leur maison de Norland et s’installer dans un cottage plus modeste. Mrs. Dashwood (Gemma Jones) s’inquiètent de marier ses filles quand plusieurs courtisans se font bientôt connaître. Elinor (Emma Thompson) et Marianne (Kate Winslet) incarnent l’une, plus âgée, la raison et l’autre une passion qui, elle, s’accorde assez mal avec l’étiquette de la gentry. A cette époque, en effet, selon la vision qu’en donnent les œuvres de Jane Austen, chacun se doit de manier la litote et l’euphémisme à un niveau d’expert, et pas un sourire ne doit alors dépasser le stade de l’esquisse (Hugh Laurie, dans un rôle proche de celui du Dr. House, excelle dans cet art). En outre, par le caractère exagérément impétueux de Marianne, Jane Austen donne l’impression de se moquer du courant romantique auquel elle appartient. Emma Thompson et Ang Lee ne se privent donc pas de faire courir Kate Winslet sous la pluie en pleine campagne, de la perdre dans la brume, de la rendre tout excitée à la vue de John Willoughby, qui lui cause bien du tourment (Greg Wise), ou bien d’Edward Ferrars, dans les bras duquel elle précipiterait volontiers sa sœur (Hugh Grant**). Seul l’austère mais dévoué colonel Brandon (Alan Rickman) laisse son cœur tranquille…

Nous l’avons signalé, la réalisation est sage : la caméra adopte la retenue des personnages. Les humeurs atmosphériques trahissent toutefois les états d’âme de nos héroïnes. Raison et sentiments alterne les intérieurs rangés et néoclassiques (cheminées marbrées à colonnes, très hauts murs surchargés de cadres ou au contraire bas plafonds et pièces dépouillées) aux extérieurs tout aussi rangés (Sussex et Devonshire aux pâturages d’un vert éclatant, parfois mouchetés du blanc des moutons mérinos). Plusieurs images rappellent la peinture du XVIIIe siècle : Watteau, Fragonard, Gainsborough (voire Georges de La Tour, bien qu’il soit du XVIIe, pour les intérieurs éclairés à la bougie). Le film doit enfin beaucoup à l’interprétation de ses acteurs. Inférieur à Orgueil et préjugés ou Bright star (Jane Campion, 2010), pour évoquer l’histoire d’un auteur contemporain d’Austen, Raison et sentiments se range tout de même avec ce qui s’est fait de mieux sur les œuvres de la jeune auteur anglaise. Ours d’or à Berlin, British Awards (meilleur film), German Film Awards (meilleur film étranger), NY Critics Award (meilleur réalisateur), cette production valut tous les honneurs à Ang Lee.

* C’est à nouveau elle qui signe (avec Deborah Moggach) celui d’Orgueil et préjugés de Joe Wright en 2006.

** Hugh Grant jouait déjà avec Emma Thompson dans Les vestiges du jour de James Ivory, 1994.

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3 commentaires à propos de “Raison et sentiments (Sense and sensibility)”

  1. A noter, l’extraordinaire Kandukondain Kandukondain (Rajiv Menon, 2000) adaptation Bollywoodienne du roman de Jane Austen avec l’extraordinaire Aishwarya Rai !

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