Police

Maurice Pialat, 1985 (France)

La force Depardieu arrêtée net devant le visage de Truffaut. Répondant à la question de Noria (Sophie Marceau qui a 18 ou 19 ans), « Et maintenant, on fait quoi ? », le flic Mangin répond par une envie, acheter des journaux. Et, devant le kiosque sur les « Champs », Depardieu s’arrête le temps d’un regard vers une couverture de magazine. On reconnaît Truffaut. Au-dessus le mot « Passion ». Gérard Depardieu a l’air très brièvement de quitter par son personnage (par association, on pense alors nécessairement au Dernier métro, 1980, et à La femme d’à côté, 1981). Perdu sur la fin de ce plan. Le tournage de Police commence en novembre 1984. François Truffaut est mort le 21 octobre.

Rapidement emportés par ses nerfs, Mangin est un flic qui baffe pour obtenir un renseignement. Il envoie le nez d’un inculpé sur la table ou secoue violemment Noria en l’agrippant par le cuir. Il rentre dedans, c’est sa méthode. Et bien sûr, il brouille ainsi la limite entre le flic et le voyou, gomme la frontière, estompe le champ-contre-champ pourtant si clair dès la toute première scène de l’interrogatoire. Mangin drague la stagiaire, fait du rentre dedans avec la serveuse plus toute jeune, celle du bout du comptoir, couche avec Lydie la gentille tapineuse qui le rencarde (Sandrine Bonnaire à 18 ou 19 ans). Puis vient le jour où Mangin tombe amoureux de la mauvaise personne. Noria collabore peu, ment plus que les voyous, trompe son monde*. Ancienne copine du trafiquant bouclé par Mangin, Noria attise la passion. Le flic veut la garder tout prêt de lui au point de se compromettre un peu plus. Elle le rend fou et en douce glisse les liasses dans sa malle.

Pourtant, ni elle, ni aucun autre ne décontenance Depardieu à ce point. Le regard sur le visage de Truffaut l’arrête et paraît ouvrir un gouffre de mélancolie (comme dans le tout dernier plan du film). Toute sa brutalité et tout son élan y ont sombré. Cela ne dure qu’un instant : la charpente Depardieu est ébranlée… et à travers lui Pialat à qui Truffaut avait donné tout son soutien lors de la réalisation en 1969 de L’enfance nue, son premier long métrage. Pialat le sanguin, Pialat qui gueule et qui éructe (dispute avec Catherine Breillat dès l’écriture, remontrances à l’encontre de Richard Anconina ou de Sophie Marceau pendant le tournage), Pialat le « mal aimé » et Pialat qui l’a sûrement bien mérité… Pourtant, ces visages qu’on lui prête s’estompent derrière celui qu’il filme sur la couverture d’un magazine. Et au-delà du film sur le mensonge (celui de Noria la baratineuse qui est au cœur de l’histoire), au-delà du film réaliste et d’une « écrasante vérité » avec sa suite de personnages endoloris, Maurice Pialat, sincère, brut, par ce plan sensible, fait preuve d’une discrète marque de reconnaissance, claire vérité au milieu d’une fiction en milieu trouble.

* Dans un bel article, Emmanuel Carrère évoque son rôle de vraie menteuse, une semeuse de pagaille dans un monde où les échanges entre police et truands ne sont régis que par une mauvaise foi très convenue. E. Carrère, « Le crime paye », à propos de Police dans Télérama, hors série n° 14, sur l’année de cinéma 1985.

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3 commentaires à propos de “Police”

  1. Quand Depardieu dit qu’il a envie d’acheter des journaux, ça m’a immédiatement fait penser à cet interview de Yann Dedet que j’avais lue dans les Cahiers de février 2003, au moment de la mort de Pialat :

    J’étais assistant sur un Truffaut. [… Pialat] m’a dit : « T’aimes ça, toi, les films où l’on parle de mer et la séquence suivante on est au bord de la mer ? ». […] Et puis, avant Loulou, il m’appelle et me dit quelque chose du genre : « Toi qui montes les films du petit jockey, tu serais peut-être capable de monter mes merdes. »

    De fait, dans la séquence suivante, Depardieu achète bien des journaux. Et c’est là qu’il tombe en arrêt devant cette couverture consacrée, justement, à Truffaut. L’hommage prend donc une dimension un peu plus retorse si on y inclut la scène d’avant, qui reproduit, de façon exceptionnelle chez Pialat, une ficelle narrative caractéristique (selon lui) du cinéma de Truffaut.

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