Paysages manufacturés

Jennifer Baichwal, 2007 (Canada)




« C’est une vue très grande. Il est difficile d’y voir les détails », commente un Chinois qui vient d’être pris en photo et qui en apprécie le résultat. La remarque peut aussi bien s’appliquer au travail de Jennifer Baichwal qui s’intéresse, dans Paysages manufacturés, au travail du photographe Edward Burtynsky. Les paysages qui apparaissent à l’écran sont vastes et multiples. Ils ont pour point commun leur gigantisme et d’être le produit d’activités humaines. Ils sous-entendent également toute la nuisance de l’homme pour l’environnement et pour lui-même. Le propos qui les accompagne n’est pas clair.

Jennifer Baichwal commence son film par l’intérieur d’un de ces « ateliers du monde » (le travelling d’ouverture sur ces dizaines de chaînes de montage). A l’extérieur, c’est une véritable ville-usine qui se révèle. Juché sur un échafaudage avec son équipement, l’artiste Burtynsky donne des consignes pour que les centaines (les milliers ?) d’ouvriers sortis pour la photo dans leur tenue jaune se placent à sa convenance. Il n’est pas inintéressant que la réalisatrice nous mette dans la confidence de la mise en scène photographique. Un diaporama de montagnes de déchets constituées par de vieillies pièces détachées, que l’on peut penser revenues d’Europe ou des Etats-Unis, suggèrent la pollution engendrée par ces bouts de plastique et les dangers sanitaires entraînés par la manipulation peu précautionneuse de certains métaux en vue d’un recyclage de fortune fait par la population locale. Puis sur les chantiers navals, la réalisatrice poursuit de la même façon avec les photos d’impressionnantes carcasses de bateaux et celles de jeunes ouvriers qui, sans protection, baignent dans le pétrole duquel il faut nettoyer barils ou citernes. Un vague commentaire est fait sur la place de ces énergies fossiles dans nos sociétés (les dommages de la mondialisation ?). La caméra se pose ensuite au milieu des décombres urbains qui ne tarderont pas à être immergés par les eaux régulées du barrage des Trois Gorges. A nouveau, associé au spectaculaire des images (qui proposent des décors semblables à ceux vus dans le bon Still life de Jia Zhangke en 2007), des bribes d’informations participent à la fabrication de préjugés négatifs sur ce chantier pharaonique (déplacement de plus d’un million d’habitants, installation prochaine sur les rives du Yangze de vingt-sept centrales nucléaires). Mieux, au cours d’un discours et d’une présentation de ses œuvres, quasi anecdotiquement, Burtynsky, qui à ce moment-là n’est pas sans nous rappeler Al Gore dans Une vérité qui dérange (Davis Guggenheim, 2006), évoque les conséquences du barrage des Trois Gorges sur la vitesse de la rotation de la Terre ! Une telle information mériterait un petit éclaircissement. Et si Jennifer Baichwal préfère se dispenser d’une démonstration scientifique sur la question (peut-être parce qu’il s’agit là d’une belle bêtise ?), autant couper cette phrase au montage. Le dernier thème abordé est celui de l’urbanisation croissante de la Chine et l’exemple de Shanghai est le plus développé. Les anciens quartiers délabrés sont progressivement remplacés par des gratte-ciels modernes. Ok. Mais pourquoi filmer des jeunes en discothèque ? Pour les opposer à la vieille femme qui coud ? Signifier par ces exemples que la ville se transforme avec sa population est assez caricatural… En outre, Sud-est asiatique, Chine continentale, littoral du Golfe du Bengale, les espaces concernés sont très divers et ne sont que rarement localisés. Les mentions qui aideraient à situer les paysages sont discrètes. La Chine concerne l’essentiel du panorama dressé, mais sans avertissement aucun ce sont tout à coup des populations indiennes qui sont filmées. C’est à peine si le commentaire précise plus tard qu’il s’agit du Bangladesh. La confusion est latente.

L’objectif de ce documentaire est difficile à comprendre. Il n’a par exemple en rien la forme du Cauchemar de Darwin (2005) dans lequel Hubert Sauper met en évidence le réseau des activités humaines liées à la pêche sur le lac Victoria. Ici pas de réseau, pas de lien, si ce n’est les deux ou trois caractéristiques communes à ces paysages (gigantisme, transformations et impressions négatives laissées par ces « aménagements »). Il semble en vérité que les intentions de Jennifer Baichwal diffèrent de celles d’Edward Burtynsky. Alors qu’au début du film, la voix off du photographe nous explique qu’il souhaite, sans porter de jugement, montrer au spectateur « l’ampleur du phénomène » (ces transformations de paysages), la réalisatrice, elle, est sans cesse tentée par le jugement (rien que la musique utilisée, de pesantes nappes de clavier, trahit le parti pris). De ces « cathédrales de l’industrie » se dégagent certes spectacle et esthétique, mais les intentions sont confuses et maladroites. Malgré tout, il ne faut pas oublier la grande qualité de Paysages manufacturés, la matière à débats qu’il procure.





Je m’étonne que Gilles Fumey n’ait pas été plus critique à l’égard de ce film. Le géographe commente les différentes séquences et formule d’intéressantes remarques (« le lugubre peut-il atteindre le beau ? » qui est une question posée par le photographe à travers son œuvre ; « Y aurait-il une solution devant la maquette de cette cité radieuse qui préfigure une Chine urbanisée à « 70% » comme on l’entend ? Le film perd un peu son sujet sur l’industrie mais il montre les conséquences de ce mode de production imaginé en Angleterre au 18e siècle… »). En revanche, il ne paraît gêné ni par l’ambiance pessimiste qui se dégage du « diaporama », ni par ses maladresses.

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Une réponse à “Paysages manufacturés”

  1. Non, il ne faut pas voir dans ce documentaire un travail de réflexion visant à démontrer quelque chose, il s’agit plutôt d’un constat, d’un étalage de ce que l’être humain inflige à sa planète. Basé sur le travail d’un photographe, il montre certains côtés de notre société de consommation bien décrits dans la critique de Benjamin. Chacun est libre de faire sa propre interprétation et d’effectuer des recherches complémentaires pour confirmer ou infirmer certains dires comme le ralentissement de la rotation de la Terre lié à l’ouverture du barrage chinois des Trois Gorges.
    En cela il est efficace et, justement par l’absence de message clair et précis, il ouvre le débat ce qui est plutôt intéressant et novateur (pour une fois que l’on ne nous impose pas quelque chose !).

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