L’oiseau

Yves Caumon, 2010 (France)

La pudeur de la mise en scène et la retenue de l’actrice suffisent-elles à faire voir toute la fragilité, la délicatesse, d’un esprit en deuil ? Anne est seule. Elle a perdu son fils. On le comprend au milieu du film, au détour d’un enfant sur le chemin en courbes qui conduit au cimetière. Mais Anne ne laisse rien paraître. Et son impassibilité gêne, ce que lui fait notamment comprendre le tendre cuistot découragé de ne pas obtenir de réponse à ses avances. Exception faite d’une parenthèse cinéphilique où le cinéma de Mizoguchi autorise à pleurer de tout son corps (La vie d’Oharu, femme galante, 1952), la jeune femme ne s’abandonne pas à la discrétion de son diaphragme et le réalisateur ne la laissera jamais, par outrecuidance ou complaisance, un mouchoir à la main. Pour couper le câble qui la retient depuis la mort d’un fils, dont on apercevra le fantôme dans la maison à vendre, il n’y a que le temps, aussi étiré soit-il, et un oiseau. C’est en effet une tourterelle qui, élisant domicile chez elle, conforte le mieux son cœur. Grâce à l’oiseau, par touches infimes, Anne s’ouvre à nouveau (la séquence dans les herbes et la rivière qui la renverse). L’oiseau, réceptacle à symboles, n’est plus rien, de la poussière jetée à la rivière, quand Anne décide de reprendre sa vie et ne plus être seule.

Le troisième long métrage d’Yves Caumon (Amour d’enfance, 2001, Cache-cache, 2006) entraîne Sandrine Kiberlain vers un jeu minimaliste expérimenté peu de temps avant pour Mademoiselle Chambon de Stéphane Brizé (2009). Dans L’oiseau, il est difficile de parler de l’état dans lequel se retrouve le personnage d’Anne : elle vit mécaniquement, ne s’intéresse à rien ni personne, ne montre ni chagrin, ni mélancolie, ni quelconque autre humeur. Davantage que la douleur, on devine le manque qu’il lui faut combler. La caméra garde ses distances. Elle regarde les cheveux en saule pleureur de l’actrice, la voit dans la pénombre de son appartement. Pour se prémunir contre toute indélicatesse, Yves Caumon reste prudent. Trop certainement. Malgré les robes à fleurs du personnage, le quotidien qui apparaît à l’écran est terne. L’ennui menace. Sur le fil, le presque rien manque d’être plus subtil (pour prendre un autre exemple, musique dictée par les circonstances, c’est le cas des trois touches de piano effleurées). Sandrine Kiberlain semble ne plus avoir goût à rien. L’oiseau moqueur, lui, dirait que le film tend de la même manière à l’insipide.



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4 commentaires à propos de “L’oiseau”

  1. Tu signales avec raison la difficulté du spectateur à faire le lien entre L’oiseau et Mizoguchi.

    Caumon dit être totalement admiratif des films de Kenji Mizoguchi (ta deuxième hypothèse donc). Découvrant à peine Ozu, pour ma part, je ne connais rien encore de Mizoguchi. En revanche je sais que La vie d’Oharu, femme galante est considéré comme son chef-d’œuvre.

    L’histoire racontant la déchéance d’un femme de haut rang devenue prostituée, il n’y a pas grand rapport avec Anne (Kiberlain). On peut donc simplement prendre la citation au premier degré, Caumon se fait plaisir et n’entend peut-être pas faire écho à la vie d’Anne.

    Néanmoins, je pense que Caumon souhaite inscrire son travail dans une certaine filiation avec l’œuvre du Japonais. Dans la multiplication des non-dits, dans ses extrêmes précautions, j’y vois la tentative de recréer les ambiances des réalisateurs japonais qui, peu bavards, par de longs plans, en disaient pourtant long sur les personnages. On sent que Caumon veut sa caméra discrète et légère. Le style de Mizoguchi est décrit comme élégiaque et, quand on voit les plans longs sur les cheveux de Kiberlain ou bien dans l’herbe, ou dans le vent, on a l’impression que Caumon recherche ce lyrisme.

    Le résultat malgré tout est que l’on s’est tous les deux ennuyés.

    Sinon, l’idée que les seules larmes versées le sont au cinéma alors que le drame justifierait bien quelques sanglots supplémentaires, n’est pas inintéressante.

  2. De Mizoguchi, j’ai vu L’impératrice Yang Kwei Fei (cette fois, c’est une servante qui devient une femme de haut rang) et je n’ai pas forcément vu le lien avec la réalisation de L’oiseau. Cela dit, je n’ai pas pu en voir d’autres. Le film de Mizoguchi était plus bavard, il y avait plus d’action, c’était très beau et le mélodrame fonctionnait très bien.

    L’idée sur les larmes, je ne sais pas trop. C’est vrai qu’elle pleure dans la salle et pas dans la vie, tu as raison de le remarquer. Mais elle ne pleure pas quand le pigeon meurt ?

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